Il aura fallu plusieurs siècles pour que ces monstres cosmiques, dont la masse peut atteindre des milliards de fois celle du Soleil, soient officiellement reconnus comme des astres bien réels.
Il y a cinquante ans à peine, les trous noirs étaient considérés par une majorité de physiciens comme des absurdités théoriques. Au cours de l’histoire des sciences, il y eut pourtant des précurseurs, des visionnaires qui pressentirent que les trous noirs n’étaient pas que pur fantasme. En 1783, le révérend et astronome anglais John Michell expose dans un article envoyé à la Royal Society le concept d’un corps si massif que même la lumière ne pourrait s’en échapper. « Si le demi-diamètre d’une sphère de la même densité que le Soleil et qui excéderait celui du soleil d’une proportion de 500 à 1, un corps tombant depuis une hauteur infinie vers elle aurait acquis à sa surface une vitesse plus grande que celle de la lumière. En conséquence, supposant que la lumière est attirée par la même force en proportion de sa masse d’inertie, comme les autres corps, toute lumière émise depuis ce corps reviendrait sur elle-même par sa propre gravité » suggère le savant, qui présumait déjà que bien que ces corps soient invisibles à l’observation directe, ils devaient provoquer des effets gravitationnels décelables. Idée reprise en 1796 par le marquis Pierre-Simon de Laplace, mathématicien, philosophe et astronome passionné par la mécanique céleste et la gravitation. Dans son livre Exposition du Système du Monde, il écrit : « Un astre lumineux, de la même densité que la Terre, et dont le diamètre serait 250 fois plus grand que le Soleil, ne permettrait, en vertu de son attraction, à aucun de ses rayons de parvenir jusqu’à nous. Il est dès lors possible que les plus grands corps lumineux de l’univers puissent, par cette cause, être invisibles ». Sa thèse, présentée devant l’auditoire de l’Académie des sciences, ne recevra guère d’écho. Les physiciens de l’époque demeurent sceptiques sur les probabilités d’existence d’un objet si abstrait, si improbable. Il faudra attendre le 20e siècle et la révolution cosmologique initiée par Albert Einstein pour que les trous noirs reviennent sur le devant de la scène. Dans sa théorie de la relativité générale, publiée en 1915, Einstein identifie la gravitation à des propriétés de l’espace, dont la structure est modifiée par la présence de matière. L’univers n’est plus une entité absolue, mais une structure souple déformée par la matière ; l’écoulement du temps est également affecté par la présence de matière. Ce changement de paradigme va alors provoquer une forte émulation dans le milieu scientifique et de nombreux chercheurs vont affiner les équations complexes d’Einstein (qui lui-même ne croit pas à l’existence des trous noirs). En 1916, le physicien allemand Karl Schwarzschild comprend que la théorie de la relativité générale permet l’existence de singularités sphériques et statiques, prenant le cas théorique d’une masse infinie effondrée en un point. En 1935, le physicien indien Subrahmanyan Chandrasekhar montre qu’au-delà d’une certaine masse (appelée depuis limite de Chandrasekhar), un objet astrophysique qui n’est pas le siège de réactions nucléaires s’effondre sur lui-même sous l’effet de sa propre gravité, formant un puits gravitationnel sans fond. En 1939 #, le célèbre physicien américain Robert Oppenheimer renforce avec son collègue Hartland Snyder le concept de trou noir en calculant qu’il existe une masse maximale aux étoiles à neutrons, au-delà de laquelle elles s’effondrent sous l’effet de leur gravité, ce qui provoque une contraction qui se prolonge indéfiniment dans le temps. En 1 963, le mathématicien néo-zélandais Roy Kerr trouve une équation décrivant un trou noir en rotation (dit trou noir de Kerr), dont l’effet est d’entraîner l’espace environnant dans son mouvement de rotation. Dans le même temps, à partir de la relativité générale, Roger Penrose et Stephen Hawking montrent qu’il doit y avoir à l’intérieur d’un trou noir une singularité de densité infinie ainsi qu’une courbure de l’espace-temps infinie. La découverte des pulsars (forme observable des étoiles à neutrons) en 1967, puis du premier candidat trou noir (Cygnus X-1) en 1971 , font définitivement entrer les trous noirs dans le champ de l’astronomie.
saviez-vous ?
L’article de Robert Oppenheimer et Hartland Snyder est malheureusement publié le 1or septembre 1939… jour de l’invasion de la Pologne par les forces armées de l’Allemagne nazie ! Bien que brillants, leurs travaux passent donc presque inaperçus en raison du grave contexte géopolitique de l’époque.