Considéré comme un précurseur de la chimie organique moderne, Friedrich Wohler réalisa accidentellement la première synthèse d’un composé organique, celle de l’urée, en 1828. Il permit ainsi d’apporter un premier démenti expérimental a la théorie du « vitalisme » alors en vigueur.
En 1828, Friedrich Wohler réussit à obtenir de i’urée, molécule organique, à partir d’un composé minéral, le cyanate d’ammonium.

LA CHIMIE ORGANIQUE CONTRE LA CHIMIE INORGANIQUE

Jusqu’au début du xixe siècle, les chimistes pensaient que la structure des composés des organismes vivants était trop complexe pour que l’homme puisse les synthétiser. On opposait alors la chimie organique, celle de la matière vivante, à la chimie inorganique ou minérale, qui se consacrait à l’étude des substances obtenues à partir de la matière inerte et n’ayant donc rien de commun avec la vie.
Cette distinction influence encore de nos jours le nom de deux disciplines de la chimie, bien que l’on sache aujourd’hui que, d’un côté comme de l’autre, les composés chimiques du carbone et les composés métalliques étudiés par la chimie inorganique sont tous essentiels à la vie et peuvent être entièrement synthétisés. La chimie organique, ou chimie du carbone, se définit maintenant par l’étude des composés à base de carbone. On doit cette révolution de la discipline à la découverte d’un jeune chimiste allemand de 28 ans, Friedrich Wôhler (1800-1882)…

LES LOIS NATURELLES

Avant Wôhler, vers 1816, le chimiste français Michel- Eugène Chevreul (1786-1889) avait jeté les premières pierres par ses études sur les corps gras d’origine animale. Mais c’est du jeune Wôhler que vint la démonstration véritable que la chimie minérale et la chimie organique se conformaient aux mêmes lois naturelles. Découverte en 1773 par le Français Hilaire- Marin Rouelle (1718-1779), l’urée naturelle pouvait alors être obtenue à partir de composés biologiques comme l’urine. En 1828, Friedrich Wôhler parvint à en obtenir, de façon purement accidentelle, en portant à ébullition une solution aqueuse saturée de cyanate d’ammonium, un réactif inorganique. Ayant réitéré plusieurs dizaines de fois son expérience, il fut en mesure de déclarer: «Je peux faire de l’urée sans avoir besoin de reins ou même d’un animal, fût-il homme ou chien. » Les chimistes avaient désormais la preuve que les composés issus du vivant pouvaient être abordés de la même façon que les composés inorganiques.

LE VITALISME REMIS EN QUESTION

En parvenant à synthétiser l’urée, Wôhler avait démontré qu’il était possible de synthétiser un composé organique, mais encore qu’on pouvait le faire à partir d’un composé qui lui ne l’était pas, et ce, sans l’intervention d’un organisme vivant. Il battait ainsi en brèche la théorie en vigueur du « vitalisme », qui reposait sur une tradition philosophique ancienne pour laquelle le vivant ne pouvait être réduit aux lois de la matière: une force vitale supplémentaire, de nature mystérieuse, était indispensable pour insuffler la vie à la matière. Avant l’expérience pionnière de Wôhler, on considérait donc que les molécules organiques ne pouvaient provenir que de constituants habités par cette « force vitale » et ne pouvaient de ce fait être synthétisées en laboratoire. L’un des fondateurs de la chimie moderne, le Suédois Jôns Jacob Berzelius (1779-1848) affirmait ainsi : « On ne peut pas préparer par synthèse des composés du vivant qui ont besoin d’une « force vitale ». »

LA THÉORIE DE LA GÉNÉRATION SPONTANÉE

Si la synthèse de Wôhler constitue un tournant historique, il fallut bien d’autres travaux pour que le vitalisme sorte réellement du champ scientifique. La théorie subsista jusqu’à la fin du xixe siècle sous une autre forme: la chimie pouvait bien expliquer la création de molécules organiques en laboratoire, mais leur agencement complexe caractéristique du vivant continuait de requérir la force vitale, ainsi que l’indiquait la croyance en la « génération spontanée » des organismes. Les expériences de Louis Pasteur (1822-1895), qui lui-même était au départ vitaliste, permirent d’expliquer l’apparition des vers de farine par la présence de larves microscopiques, et ainsi d’invalider définitivement l’hypothèse de la génération spontanée. Pour les organismes vivants complexes, tels que l’homme, il fallut attendre les découvertes de Hans Spemann sur l’embryogenèse, pour démontrer qu’eux aussi obéissaient aux lois physico-chimiques plutôt qu’à un quelconque fluide vital.

ATOMES ET MOLÉCULES

À la suite des travaux de Wôhler, la chimie organique connut un essor foudroyant. Entre 1850 et 1865, le Français Marcellin Berthelot (1827-1907) parvint par exemple à effectuer la synthèse du méthane, du méthanol, de l’éthyne et du benzène. En 1856, William Perkin, alors qu’il cherchait à produire de la quinine, synthétisa accidentellement une teinture organique, la mauvéine, inaugurant l’ère – lucrative – de la chimie des colorants. Les méthodes d’analyse des composés organiques se développèrent, elles aussi,, mais une avancée cruciale fut la compréhension de l’arrangement des atomes entre eux au sein des molécules. Au xxe siècle furent synthétisés, entre autres, les glucides (1902, par Emil Fischer), un constituant de l’hémoglobine (1929, Hans Fischer) ou encore la vitamine B12 (1972, Woodward). De nos jours, les chimistes synthétisent des centaines de milliers de composés organiques qui, pour la plupart, ne sont paradoxalement pas produits dans la nature!

À RETENIR

En réussissant de façon fortuite la synthèse de l’urée en 1828, le chimiste allemand Friedrich Wôhler (1800-1882) démontra que les composés organiques obéissaient aux mêmes lois que les composés inorganiques. Il contribua ainsi à remettre en cause l’existence d’une force vitale qui, ainsi qu’on le croyait, permettait d’animer la matière et différenciait le monde vivant du monde minéral et il ouvrit la voie au développement de la chimie organique, qui concerne désormais l’étude de tous les composés du carbone.