Les questions de politique économique, c’est-à-dire les interactions entre les autorités publiques et les agents privés, ont connu un profond renouvellement vers la fin des années 1970 avec les travaux sur la crédibilité et la cohérence temporelle. Un renouveau qui fera la part belle à la théorie des jeux.
THÉORIE DES JEUX
La théorie de la cohérence temporelle est une remise en cause de la conception traditionnelle de la politique économique. Si elle s’inscrit dans le cadre de l’équilibre général et fait donc suite aux travaux de Friedman et de Lucas, elle constitue une étape supplémentaire dans la réfutation de la politique de stabilisation keynésienne. L’idée de Keynes était que la demande globale est à l’origine des fluctuations économiques et qu’il convient donc, pour atteindre un équilibre, de stabiliser la demande. Ce renouvellement va se faire en deux étapes, via deux articles, publiés en 1977 et en 1982. L’idée du premier article est que l’outil qui permet de gouverner n’est pas, comme on le croyait jusqu’alors, la théorie du contrôle optimal, mais bien les concepts d’équilibre développés en théorie des jeux. Le second article cherche, lui, à fournir une explication générale aux fluctuations économiques. Le point de vue développé va alors servir de base à l’analyse moderne des cycles socio-économiques.
KYDLAND ET PRESCOTT
On doit la théorie de la cohérence temporelle à l’économiste norvégien Finn Kydland et à l’Américain Edward Prescott. Leurs travaux seront récompensés en 2004 par le prix Nobel d’économie. Dans leurs travaux, les deux économistes mettent l’accent sur la rationalité des comportements et des anticipations des agents. Dans un premier temps, ils énoncent, en suivant une intuition de Friedman selon laquelle une règle domine la discrétion, leur principe de cohérence temporelle. Ainsi, les agents privés ne peuvent pas être considérés comme passifs face aux politiques économiques. Au contraire, ils remontent aux objectifs propres des autorités et seules les politiques restant compatibles avec ces objectifs sont jugées crédibles ou temporellement cohérentes. Ce sont ces politiques, et elles seules, qui seront alors prises en compte dans le processus de formation des anticipations des agents privés. Les autorités doivent ainsi chercher à éviter les effets pervers des stratégies non coopératives.
UNE QUESTION DE COHÉRENCE
L’idée qui se cache derrière le concept de cohérence temporelle, formalisée par Kydland et Prescott, est qu’il est possible qu’un même agent ne soit pas cohérent dans ses choix au cours du temps, même s’il est rationnel. Afin d’illustrer cette question de la cohérence temporelle, considérons l’exemple d’un agent économique, une banque centrale par exemple, qui annonce la politique qu’elle envisage de mener pour les périodes à venir. Si cette annonce est jugée, au moins partiellement, crédible ou temporellement
cohérente par les agents du secteur privé, ces derniers vont alors former des anticipations influencées par cette annonce et prendre des décisions, également influencées, au cours de la période de l’annonce. Dès lors, ces décisions ne seront pas affectées par les politiques économiques qui seront effectivement menées au cours des périodes suivantes. Ainsi, les décisions qui sont optimales à une date donnée ne sont pas celles, généralement, que l’on prévoyait de prendre dans le passé.
POLITIQUE MONÉTAIRE
Dans leur article originel, Kydland et Prescott illustrent la crédibilité de la politique économique avec l’exemple de la politique monétaire. Ils considèrent que l’État, représenté par une banque centrale, contrôle le taux d’inflation et fait face aux salariés du secteur privé. L’économie se résume ici au dilemme inflation-chômage, c’est-à-dire à une courbe de Phillips. La structure du jeu est alors la suivante. Au début de la période, la banque centrale annonce le taux d’inflation qu’elle réalisera, ce qui influencera les anticipations d’inflation des agents privés, puis elle décidera effectivement, au cours de la période, du taux d’inflation en minimisant sa fonction de perte et en prenant en compte les anticipations des agents privés. Kydland et Prescott montrent alors qu’une politique d’engagement de l’autorité publique à pratiquer une inflation nulle n’est pas la solution du jeu entre l’autorité publique et les agents privés, car cette politique n’est pas cohérente temporellement.
RENOUVEAU DE LA POLITIQUE ÉCONOMIQUE
L’article de 1977 de Kydland et Prescott est un profond renouvellement de la politique économique. En effet, ils montrent qu’il est possible de penser la politique économique, non plus simplement comme un problème de contrôle optimal, mais dans laquelle les agents cherchent à prévoir le plus rationnellement possible en formant des anticipations qui intègrent les actions présentes et futures des autorités publiques. Ils montrent également que l’équilibre d’une économie doit être pensé comme celui d’un jeu où les agents, connaissant les stratégies possibles des autorités publiques, forment des anticipations cohérentes. Les auteurs iront encore plus loin dans l’article de 1982 en s’attaquant cette fois à une véritable théorie des fluctuations économiques. Les outils méthodologiques et théoriques, fondements de la macroéconomie du xxie siècle, qu’ils y développent leur ont donné le statut de pères fondateurs de la nouvelle synthèse néoclassique, même si leur modèle original a depuis été dépassé.
À RETENIR
La théorie de la cohérence temporelle est une remise en cause de la conception traditionnelle de la politique économique. Si elle s’inscrit dans le cadre de l’équilibre général, elle constitue une réfutation de la politique de stabilisation keynésienne. Les deux auteurs ont développé, dans deux articles, des outils méthodologiques et théoriques, en remplaçant notamment la théorie du contrôle optimal par la théorie des jeux, qui ont permis de mettre en place une nouvelle synthèse néoclassique et une nouvelle théorie de l’équilibre en économie.