La théorie des jeux

Inventée originellement pour l’étude des jeux de société, la théorie des jeux s’est développée autour des questions économiques sous l’impulsion de John Nash. Cependant, elle ne fournit pas des solutions toutes faites, mais propose une autre façon de penser pour aborder les questions de stratégie.

INTERACTIONS STRATÉGIQUES

La théorie des jeux est une discipline à la frontière des champs mathématiques et économiques, qui permet d’analyser les interactions stratégiques entre les individus, en particulier lorsque ces derniers ont des intérêts divergents. Les individus n’étant pas totalement maîtres de leur sort, on dit qu’ils sont en situation d’interaction stratégique, dans la mesure où toutes les décisions sont prises en tenant compte du fait que les autres vont y réagir. Le concept de rivalité est ainsi au centre de cette théorie. Initiée dans les années 1920 par des mathématiciens, elle se développera tout au long du xxe siècle avec notamment les travaux de John Von Neumann et d’Oskar Morgenstern qui l’appliquent à l’économie, en considérant que tous les problèmes économiques peuvent se ramener à un jeu.de stratégie entre acteurs rationnels et en lui fournissant son cadre formel, puis avec l’apport considérable de John Nash qui va construire une théorie de l’équilibre non coopératif pour des jeux à somme variable.
LA QUESTION DE LA COOPÉRATION
On peut distinguer deux grandes familles de jeux: coopératifs et non coopératifs. Dans le premier cas, les joueurs peuvent passer entre eux des accords qui les lient de manière contraignante. On dit alors qu’ils forment une coalition. Dans le second cas, les joueurs n’ont pas la possibilité de former des coalitions. Dans les deux cas, on définit une stratégie comme un plan d’actions spécifiant l’ensemble des décisions que doit prendre le joueur. Elle est dite pure lorsqu’elle est choisie avec certitude. Elle sera mixte si elle se définit comme une distribution de probabilités sur l’ensemble des stratégies pures. D’une manière générale, un jeu non coopératif se définit par son nombre de joueurs, l’ensemble des stratégies pures pour chaque joueur, l’ordre dans lequel les joueurs interviennent, l’information dont dispose chaque joueur et les gains (payoffs). Les jeux non coopératifs se sont avérés très utiles, comme dans les négociations internationales ou lors de campagnes électorales.
EXTENSIVE OU STRATÉGIQUE
Pour représenter un jeu non coopératif, deux formes coexistent. Un jeu en forme stratégique (ou normale) est une collection de stratégies décrivant les actions de chaque joueur dans toutes les situations concevables du jeu, ainsi que les gains que chacun obtient lorsque les stratégies de tous les joueurs sont connues. Un jeu en forme extensive (ou arborescente), de son côté, est défini comme un arbre de jeu qui décrit comment le jeu est joué. Chaque sommet de l’arbre
spécifie le (ou les) joueur(s) qui doit (doivent) choisir une action à ce moment du jeu, ainsi que l’information dont chaque joueur dispose lors de la prise de décision et chaque flèche de l’arbre représente un coup du jeu. Les gains que chaque joueur peut réaliser après avoir suivi un des chemins possibles au sein de l’arbre sont donnés aux sommets terminaux. On peut associer un jeu en forme stratégique à tout jeu en forme extensive en combinant toutes les stratégies possibles et en évaluant les gains correspondants.
L’ÉQUILIBRE DE NASH
Il est possible de proposer une issue probable à un jeu non coopératif, une issue logique au sens où elle adviendrait si les joueurs se comportaient de manière rationnelle. L’outil le plus couramment utilisé est l’équilibre de Nash, car très naturel. Un tel équilibre est l’ensemble des stratégies (une par joueur) tel qu’aucun joueur ne peut obtenir un gain supplémentaire en changeant unilatéralement de stratégie. Cet équilibre est une situation dont personne n’a intérêt à dévier individuellement, c’est-à-dire que chaque agent fait un choix optimal qui maximise son utilité, sachant la stratégie que va employer l’autre agent. L’équilibre de Nash a eu et continue d’avoir de nombreuses applications en économie: on peut citer, entre autres, l’analyse du comportement des firmes en situation de duopole ou l’étude des mécanismes d’enchères pour l’octroi d’un marché public. Cet équilibre a également des applications en géopolitique, comme ce fut le cas dans le cas de la crise des missiles de Cuba.
LE RETOUR DE LA MAIN INVISIBLE
On peut voir dans l’équilibre de Nash une analogie avec la main invisible de Smith. En effet, l’équilibre de Nash possède, entre autres, trois propriétés présentant de fortes similitudes avec celles de la main invisible. Tout d’abord, l’équilibre de Nash repose sur la rationalité des agents, c’est-à-dire l’optimisation et la poursuite de l’intérêt personnel, rejoignant l’équilibre du marché en situation de concurrence pure et parfaite cher à Smith. Ensuite, les deux équilibres, celui de Nash et celui de Smith, sont spontanés, c’est-à-dire sans besoin d’une intervention extérieure, et sont, en général, stables, puisque c’est une situation dont les agents ne veulent pas dévier. Toutefois, des différences majeures existent, donnant toute sa force à la théorie des jeux. Ainsi, l’équilibre de Nash peut être sous-optimal, ce qui n’est pas le cas de celui du marché, indiquant une tension entre la rationalité individuelle et la rationalité collective qui suggère des gains à une coordination des agents.
À RETENIR
La théorie des jeux fournit un outil à la fois mathématique et économique qui permet de penser les interactions et les comportements stratégiques entre plusieurs agents. Les jeux peuvent être statiques ou dynamiques, coopératifs ou non coopératifs et dans ce dernier cas, peuvent être présentés sous forme stratégique ou extensive. Une issue probable et logique à un jeu est fournie par l’équilibre de Nash. Même si ses propriétés sont proches de la main invisible de Smith, cet équilibre permet de réfléchir sur les liens entre micro et macroéconomie.

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