Pour certains économistes néoclassiques, rien de tel qu’une thérapie de choc pour sortir un pays d’une crise économique. Basé sur des conditions drastiques, ce type de thérapie n’a pas toujours eu les résultats escomptés. Cette thérapie a même réussi à plonger la Russie dans une crise encore plus profonde.

LA NÉCESSITÉ D’UNE THÉRAPIE

Lorsqu’un pays traverse une grave crise économique, certains économistes prônent un choc violent, un train de réformes radicales, que l’on appelle depuis une trentaine d’années une « thérapie de choc ». Les pays concernés ont majoritairement une économie contrôlée par l’État et les économistes préconisant cette thérapie sont des tenants de l’économie néoclassique. L’idée est une libéralisation rapide et violente de l’économie afin de donner une sorte de coup de fouet, aboutissant à la stabilisation de l’économie et à l’apparition d’un marché digne de ce nom. Ce programme a été mis en œuvre pour la première fois en Allemagne, en 1947 et en 1948, dans une période de reconstruction d’un pays perdant de la guerre et cela a plutôt bien fonctionné. La libéralisation des prix et l’arrêt des subventions étatiques ont permis à- l’économie de marché de s’installer, aux marchandises de réapparaître et à la pauvreté de reculer. Cette première réussite a donné à la thérapie de choc une certaine légitimité.

JEFFREY SACHS

Si le Fonds monétaire international (FMI) a structuré les recommandations à l’œuvre dans la thérapie de choc, son artisan est l’économiste américain Jeffrey Sachs. Bien qu’il n’apprécie pas réellement le terme de thérapie de choc, Sachs estime qu’« on ne peut pas franchir un abîme en deux enjambées ». Sachs est passé dans un grand nombre d’instances économiques, dont le FMI, la Banque mondiale ou l’organisation mondiale de la santé. C’est un des tenants actuels d’une économie néoclassique pure et dure. C’est à ce titre qu’il est intervenu auprès de nombreux pays en crise, en prônant la thérapie de choc. Ce fut le cas en Bolivie en 1985, époque à laquelle le terme thérapie de choc est né, puis en Pologne en 1990 ou encore en Russie en 1992. Si cette thérapie a été un succès relatif pour les deux premiers pays, tel ne fut pas le cas pour la Russie. En effet, l’Unicef et l’IRC (International Rescue Committee) estiment que cette thérapie n’a fait pas loin de 3,2 millions de victimes en Russie.

LES ÉLÉMENTS CLÉS

La thérapie de choc impose aux pays qui veulent la mettre en œuvre des conditions relativement drastiques, afin d’atteindre le double objectif de stabilisation des processus économiques et de création d’une économie de marché. Les gouvernements doivent ainsi garantir la liberté d’entreprendre, cesser le contrôle des prix et des devises, redresser la discipline budgétaire en trouvant de nouvelles sources de revenus, poursuivre l’austérité monétaire, privatiser les affaires publiques, ouvrir l’économie nationale à l’extérieur en rendant la monnaie nationale convertible. L’idée est ici de satisfaire toutes ces conditions macroéconomiques afin de permettre aux agents de retrouver leur esprit d’initiative et leur comportement d’entrepreneur, ce qui devrait avoir pour effet d’assainir et de stabiliser l’économie. Naturellement, cette thérapie repose sur un éloignement le plus rapide possible de l’État des affaires économiques, ce qui constitue l’un des préceptes de l’économie néoclassique.

POLOGNE ET BOLIVIE

La question que pose la thérapie de choc, au-delà du bien-fondé des conditions imposées aux pays, est bien celle de son efficacité. Les économistes reconnaissent qu’elle a relativement fonctionné dans certains pays, comme la Bolivie dont l’économie fut en partie sauvée grâce à elle ou en Pologne, dont l’économie a rattrapé celle des pays d’Europe de l’Ouest. Toutefois, ce n’est pas sans effets néfastes. Si ces effets sont restés supportables dans ces deux pays, ce ne fut pas le cas pour la Russie et la thérapie de choc enclenchée en 1992. En effet, les gouvernements successifs Gaïdar, Tchernomyrdine et Kirienko, suivant les recommandations des économistes occidentaux et des grandes instances internationales, plongèrent la Russie dans une crise sans précédent, dont l’aboutissement sera le krach financier de 1998. Six longues années d’austérité, qui firent plus de 3 millions de victimes et qui prirent fin avec le retour de recettes économiques hétérodoxes et la fin de la thérapie de choc.

EXEMPLE DE LA RUSSIE

L’exemple de la Russie (et de l’échec complet de la thérapie de choc mise en place entre 1992 et 1998) est éclairante pour comprendre les conditions nécessaires d’une application réussie. Le PIB russe entre 1992 et 1998 s’est réduit de 50 %, soit plus que pendant la Seconde Guerre mondiale. Les inégalités se sont accentuées, entraînant une paupérisation de plus de 40% de la population et les investissements ont dramatiquement chuté au cours de la décennie 1990. L’idée est que ce n’est pas dû à une mauvaise application d’un bon programme, la thérapie de choc, mais à une mauvaise adaptation du programme à la Russie. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela, comme l’absence d’un comportement, en Russie, de marché d’entrepreneurs ou la discordance dans le temps des délais de réalisation de certaines mesures, à court terme pour certaines et à long terme pour d’autres, comme la privatisation. C’est d’ailleurs cette privatisation qui a mené à une corruption massive gangrenant tout le pays.

À RETENIR

La thérapie de choc est une méthode économique radicale qui est censée permettre à un pays en crise de stabiliser son économie et de le faire entrer dans l’économie de marché. Cette méthode suit les préceptes de l’économie néoclassique, notamment en éloignant le plus possible l’État des affaires économiques. Si elle a connu des succès relatifs en Allemagne, en Bolivie ou en Pologne, elle a été à l’origine d’un désastre économique en Russie au cours des années 1990. Elle est ainsi très critiquée, notamment par les économistes hétérodoxes.