L’école de la régulation

Après la forte croissance des années 1960, de grandes difficultés économiques apparaissent la décennie suivante. S’opposant à la théorie de la croissance néoclassique et voulant intégrer d’autres champs disciplinaires, des économistes vont fonder une nouvelle école de pensée, celle de la régulation.

NAISSANCE D’UNE THÉORIE

La théorie de la régulation, ou devrait-on dire les théories de la régulation tant les courants de l’école régulationniste sont nombreux, est née au cours des années 1970, pour l’essentiel en France, autour des travaux d’économistes tels que Michel Aglietta, Robert Boyer ou encore Alain Lipietz. L’approche régulationniste provient de deux phénomènes. D’une part, après la croissance forte et régulière des années 1960, les difficultés économiques qui se font jour durant les années 1970 imposent un renouveau des thèmes de recherches économiques, thèmes qui vont se construire en opposition à la théorie de l’équilibre général néoclassique. D’autre part, l’approche régulationniste vise à confronter l’économie à d’autres champs disciplinaires, tels que le droit, la science politique, la sociologie ou encore la géographie. L’école de la régulation a pour objectif de relier la sphère économique et la sphère des rapports sociaux, en mettant l’accent sur les processus, les ruptures et les crises.

LES INFLUENCES

Les influences de l’école de la régulation sont très nombreuses. Deux auteurs majeurs y tiennent une place prédominante, Keynes et Marx. On comprend avec ces deux influences que l’école de la régulation est un courant de pensée hétérodoxe au sein de l’économie radicalement opposé à l’orthodoxie libérale et à la théorie néoclassique. De Marx, les régulationnistes conservent la priorité aux mouvements sur le long terme, l’idée des conflits d’intérêts qui opposent les ensembles d’agents économiques, une forme de lutte des classes et le besoin d’historiciser la science économique. Toutefois, l’école régulationniste, par ses multiples influences et confrontations à d’autres disciplines, ne peut se réduire à l’école néomarxiste. De Keynes et de la macroéconomie hétérodoxe, elle reprend l’idée que la croissance forte et stabilisée et le plein-emploi sont l’exception et non la règle et l’idée qu’une répartition des revenus, entre salaire et profit, est en fonction des anticipations des entreprises.

LA PLACE DES INSTITUTIONS

D’autres courants de pensée ont inspiré l’école de la régulation à l’image de l’école des Annales, dont elle conservera l’idée que chaque société a les crises et la conjoncture de sa structure. Mais c’est du côté du droit et des sciences politiques qu’elle va aller chercher un des éléments constitutifs de sa pensée, les institutions. Le principe est que les règles et les institutions ne sont pas un simple habillage des rapports économiques préexistants, mais leur permettent d’être conçus et de se développer. À partir de ce principe, les régulationnistes vont s’intéresser à la genèse des grandes crises, à l’essor et au dépérissement des formes institutionnelles et aux processus de sortie de crise. Voire, suivre en temps réel les recompositions annonciatrices d’une issue à la crise. C’est sur l’étude de la cohérence générale des institutions et des rapports sociaux du capitalisme que va émerger une branche parallèle à l’école de la régulation, l’économie institutionnelle américaine.

RÉGIMES D’ACCUMULATION MODES DE RÉGULATION

Reprenant l’analyse marxiste, l’école de la régulation considère que la dynamique du capitalisme est fondée sur l’accumulation du capital. Et, naturellement, selon le contexte et les événements historiques, ce régime d’accumulation peut très sensiblement varier. Ce régime d’accumulation, nommé également régime de croissance, est défini comme l’ensemble des régularités assurant une progression générale et relativement cohérente de l’accumulation du capital, c’est-à-dire permettant de résorber ou d’étaler dans le temps les distorsions et déséquilibres qui naissent en permanence du processus lui-même. Les régularités, ou modes de régulation, représentent les procédures économiques et les comportements sociaux des régimes d’accumulation. L’école de la régulation lie ainsi les formes institutionnelles historiques, c’est-à- dire toute codification d’un ou plusieurs rapports sociaux fondamentaux, et les formes de croissance par la médiation des régimes d’accumulation et des modes de régulation.

L’EXEMPLE DU FORDISME

L’école de la régulation distingue cinq grandes formes institutionnelles, les formes de la contrainte monétaire, les configurations du rapport salarial, les formes de la concurrence, les modalités d’adhésion au régime international et les formes de l’État. Cette méthode de pensée a été appliquée, dans un premier temps, au fordisme, si bien que pendant un temps, certains économistes considéraient que la théorie régulationniste était la théorie du fordisme. La raison en est simplement que c’était le modèle de développement capitaliste dominant après la Seconde Guerre mondiale. Les cinq formes institutionnelles se déclinent alors ici en une division du travail tayloriste entre activités de conception, de fabrication qualifiée et disqualifiée, un régime monétaire fondé sur le crédit, une forme de concurrence oligopolistique, un isolationnisme protectionniste et un État- providence avec protection sociale. Naturellement, l’approche régulationniste peut s’appliquer à bien d’autres objets.

À RETENIR

Après la croissance forte et régulière des années 1960, les pays développés vont connaître de grandes difficultés économiques au cours des années 1970. Afin de répondre à ces nouvelles questions, une école de pensée va se créer en s’opposant à la théorie de la croissance néoclassique et en tentant d’intégrer des concepts venant d’autres champs disciplinaires, comme le droit ou l’histoire. L’école de la régulation, s’inspirant des travaux de Keynes et de Marx, va s’appuyer sur deux concepts, les régimes d’accumulation et les modes de régulation.

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