Tous les économistes, s’ils s’intéressent aux problématiques soulevées par Keynes et effectuent leurs recherches après Keynes, pourraient être considérés comme postkeynésiens. Toutefois, ce n’est qu’au cours des années 1970 que va naître la première formalisation d’une théorie postkeynésienne.
APRÈS KEYNES
C’est en 1936 que Keynes publie son œuvre majeure, la Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. Le keynésianisme est né. L’ouvrage de Keynes est suffisamment dense pour donner lieu à de multiples interprétations et débats, qui se poursuivent d’ailleurs encore aujourd’hui. Keynes meurt dix ans après la publication de sa Théorie générale, en 1946, et seulement dix ans plus tard, le terme « postkeynésien » apparaît dans la littérature. Le sens de ce terme est alors très large, utilisé par des auteurs qui ne se retrouvent que pour utiliser les travaux de Keynes comme cadre de référence, afin de mettre à mal la théorie néoclassique. Ainsi, dans un premier temps, au cours des années 1950-1960, le terme « postkeynésien » semble simplement signifier « qui vient après Keynes », tout en s’intéressant aux problématiques soulevées par Keynes. Cependant, tous les économistes de cette époque, quelle que soit leur appartenance théorique, peuvent rentrer dans cette définition.
1975, LA NAISSANCE
Si tous les économistes, au cours des trente ans qui suivent la mort de Keynes, sont plus ou moins postkeynésiens, une définition plus précise et plus restreinte du postkeynésianisme apparaît dans un article de 1975 sous la plume d’Alfred Eichner et Jan Kregel. L’idée centrale est que le postkeynésianisme repose sur une incompatibilité indépassable entre les vues de Keynes et celles de la théorie orthodoxe, c’est-à-dire la théorie néoclassique. Pour Eichner et Kregel, il n’est pas question de tenter une synthèse entre Keynes et la théorie néoclassique, comme c’est le cas avec ce que l’on appelle la « synthèse néoclassique » ou avec la théorie du déséquilibre énoncée par le Français Edmond Malinvaud, mais bien plutôt de poser un nouveau paradigme qui annulerait le précédent. Pour les deux auteurs, la théorie postkeynésienne viserait à produire quelques énoncés généraux sur le monde empiriquement observable, alors que la théorie néoclassique se veut la base d’une règle de décision optimale.
LA PREMIÈRE DÉFINITION
Selon Eichner et Kregel, le postkeynésianisme, en tant que nouveau paradigme, doit accentuer la rupture avec la théorie néoclassique. Il est donc nécessaire de mettre en place une reconstruction théorique, que d’aucuns voient comme une reconstruction de l’économie politique. Les deux éléments clés de cette reconstruction vont être la répartition et la croissance, étudiées en tant que prolongement de la Théorie générale de Keynes. Qn peut fournir ici quelques éléments caractéristiques de cette première formalisation du postkeynésianisme.
Tout d’abord, elle se caractérise par une volonté constamment réaffirmée de prendre en compte les institutions du capitalisme contemporain. Ensuite, l’analyse des processus doit prendre en compte le fait qu’ils se déroulent dans un temps historique et irréversible. On retrouve ici la dynamique de l’économie chère à Keynes. La prise en compte des anticipations et de l’incertitude qui entourent les décisions économiques est une autre de ses caractéristiques.
LA MONNAIE
Aux caractéristiques énoncées dans le point précédent, est lié un objet fondamental dans l’approche postkeynésienne: la monnaie. Elle n’est pas liée au troc ou neutre, mais elle constitue un pont entre le présent et le futur et le point de départ de l’analyse. Eichner et Kregel affirment ainsi que la théorie postkeynésienne est la théorie d’une économie de production monétarisée. Toutefois, si tous les auteurs postkeynésiens s’accordent sur le fait que la monnaie est le lieu majeur de rupture avec la théorie néoclassique, ils ne s’accordent pas quant à sa nature, sur le caractère exogène ou endogène de l’offre de monnaie. Un point qui, a contrario, fait consensus est tout ce qui concerne les prix et la répartition. Pour les prix, les postkeynésiens proposent de substituer une nouvelle microéconomie à celle qui est utilisée par les néoclassiques et, selon eux, la répartition n’est pas le résultat de la détermination des prix des facteurs mais elle est déterminée à l’échelle macroéconomique.
2000, RENOUVEAU THÉORIQUE
C’est avec les années 2000 que la pensée postkeynésienne connaît un nouvel élan, avec l’émergence de nouveaux outils théoriques et analytiques, outils qui, entre autres, ont permis de prédire la crise des « subprimes » et ses conséquences sur l’économie réelle. Même si la ligne de démarcation entre l’économie dominante et la théorie postkeynésienne reste les recommandations de politiques économiques, elle se situerait encore plus, selon les auteurs de cette nouvelle génération, dans une divergence de posture épistémologique quant à la manière de théoriser les phénomènes économiques. Alors que les économistes orthodoxes privilégient des considérations déduites d’un formalisme mathématique, les postkeynésiens, sans rejeter ce formalisme, seraient davantage préoccupés par des considérations ontiques, c’est-à-dire des correspondances entre le monde réel et le modèle qui est censé le représenter. Ces nouveaux postkeynésiens s’appuient sur un réalisme philosophique et épistémologique.
À RETENIR
• Quelques années après la mort de Keynes, les premiers économistes postkeynésiens apparaissent. Toutefois,
s’intéresser aux problématiques soulevées par Keynes et être dans le monde d’après Keynes, cela suffit aux économistes pour rentrer dans cette case. Ce n’est qu’en 1975 que la première formalisation de la théorie postkeynésienne voit le jour. Elle se fonde sur une rupture indépassable avec le courant néoclassique. Dans les années 2000, les postkeynésiens connaissent une nouvelle jeunesse en s’appuyant sur des divergences épistémologiques.