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La rationalité occupe une place centrale dans le champ économique, mais une place paradoxale. Même les tenants de l’hypothèse de rationalité des individus reconnaissent qu’elle est peu réaliste. Il n’en reste pas moins qu’elle se trouve à l’origine de nombreux modèles opérationnels néoclassiques.
UN STATUT D’HYPOTHÈSE
Le statut de la rationalité en économie est un débat qui n’est toujours pas tranché. Elle peut être considérée par certains auteurs comme intrinsèquement liée aux actions humaines et ferait donc partie intégrante de toute recherche économique. C’est le cas d’Adam Smith bien sûr, mais aussi de Ludwig von Mises, qui estimait que « l’agir humain est nécessairement toujours rationnel » ou encore de Lionel Robbins qui va jusqu’à identifier la discipline économique et la rationalité. Pour d’autres, la rationalité des individus n’est qu’une hypothèse, dont le choix est très lié au discours économique dominant, en l’occurrence classique et néoclassique. Il n’en reste pas moins que, même en tant qu’hypothèse, la rationalité des individus a permis d’élaborer des théories qui ont elles-mêmes servi de cadre à l’établissement de méthodes opérationnelles. Elle joue donc un rôle essentièl, même si elle demeure assez peu réaliste. Les auteurs qui l’adoptent sont pour la plupart, eux-mêmes, fort sceptiques.
DÉFINITION
L’économiste français Maurice Allais, qui affichera son scepticisme face à cette hypothèse, en donne la définition suivante. « Un homme est réputé rationnel lorsque a) il poursuit des fins cohérentes avec elles-mêmes; b) il emploie des moyens appropriés aux fins poursuivies. » C’est donc dans ses choix qu’un individu est rationnel. Mais attention, on parle ici de choix économiques. En effet, la science économique s’est attachée à séparer le comportement de l’individu dans la vie économique de l’approche morale. On considère ici que les décisions économiques de l’individu sont uniquement motivées par une finalité hédoniste et utilitariste. Cette rationalité repose également sur une séparation radicale entre les décisions économiques et le contexte historique et social. Mais, cette rationalité, égoïste et individualiste, finit toujours par servir le bien commun. C’est le concept de « main invisible ». C’est en poursuivant ses propres intérêts que l’individu rationnel sert la collectivité.
HOMO ECONOMICUS
La notion d’individu rationnel est partie prenante de celle d’homo economicus, concept central de la théorie néoclassique. Elle est fondée sur la rationalité des individus et sur l’idée de l’utilisation optimale des ressources rares pour atteindre une fonction objective qualifiée d’utilité, c’est-à-dire de sensation de plaisir associée à la consommation d’un bien. L’homo economicus est donc cet être rationnel qui vise à maximiser son bien-être et gère les ressources dont il dispose uniquement dans ce but. Toutefois, la rationalité de l’individu doit être reliée à la rationalité du système dans son ensemble. Dans l’approche néoclassique, cette rationalité est liée au choix d’un critère normatif, l’optimum de Pareto. Ce dernier est un état du système dans lequel on ne peut pas améliorer le bien-être d’un individu sans détériorer celui d’un autre. Les auteurs néoclassiques ont montré qu’une fois ce critère retenu, tout équilibre de concurrence pure et parfaite est un optimum de Pareto.
AXIOMES DE RATIONNALITÉ
Même les tenants de l’école néoclassique reconnaissent que l’hypothèse de rationalité et les modèles qui reposent sur elle sont peu réalistes. Toutefois, elle occupe une place très importante, notamment parce qu’elle permet de produire des théories et des modèles qui se prêtent bien à la formalisation. L’une de ces formalisations sera effectuée par le mathématicien John von Neumann et l’économiste Oskar Morgenstern en 1952. Ils montrent dans un article qu’un individu qui, dans ses choix risqués, suit cinq axiomes dits de rationalité se comporte comme s’il maximisait l’espérance mathématique d’une fonction dite d’utilité ordinale, cette dernière nécessitant l’introduction d’une fonction de préférence. Ainsi, les caractéristiques de l’individu rationnel sont le fait qu’il peut ordonner ses choix selon ses préférences, que ses choix sont transitifs – s’il préfère A à B et B à C, alors il préfère A à C -, qu’il peut mesurer l’utilité ou la satisfaction qu’il retire de la consommation d’un bien.
LES « NOMBREUSES » CRITIQUES
Dès la parution des travaux sur la rationalité des agents, de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer cette hypothèse. Ainsi, dès 1952, Maurice Allais met en exergue les paradoxes qui portent son nom, en imaginant des individus manifestant des préférences non transitives, violant ainsi l’un des axiomes dits de rationalité. Ses paradoxes montrent que, confrontés à certains types de loteries, les individus ne se conforment pas au principe de la maximisation de l’utilité. Une autre série de critiques se constituera autour de la soi-disant information parfaite des agents, qui offre une version relativement pauvre du comportement des agents, laissant de côté une partie de l’analyse économique et surtout l’analyse sociologique. Enfin, l’individu rationnel néoclassique ignore l’incertitude, dans la mesure où le comportement des autres agents est pour lui parfaitement prévisible et n’a pas d’effet sur son propre comportement. L’économie comportementale naîtra du rejet de ce dernier point.
À RETENIR
La rationalité tient une place essentielle et paradoxale, au sein du champ économique. D’un côté, les tenants de l’économie néoclassique, même s’ils jugent l’hypothèse de rationalité des individus comme peu réaliste, construisent leurs modèles dessus. D’un autre côté, de nombreux économistes la rejettent en estimant que la plupart des comportements des agents sont irrationnels ou que l’information des agents ne peut être parfaite. Sa force réside notamment dans le fait qu’elle a permis de construire des modèles opérationnels et formalisables.