La théorie de la mesure

Si nous savons « mesurer » des objets mathématiques comme la longueur ou le volume dans des espaces relativement simples, il n’en est pas de même pour des espaces plus compliqués comme les espaces de dimension infinie ou très abstraits. La théorie de la mesure a pour objet de pallier ce manque.

LA NOTION DE MESURE

Une notion fondamentale en mathématiques est celle de longueur. Malheureusement, dans certains espaces, il est difficile, voire impossible, de transposer celle que nous connaissons pour l’ensemble R. La notion de mesure va justement permettre de prolonger celle de longueur de R ou celle de surface pour R2. Le concept mathématique de mesure, dont la définition est assez complexe, va permettre de pouvoir d’une part travailler sur des espaces de base plus généraux, comme des espaces de dimension infinie ou plus abstraits, et d’autre part d’englober dans un même cadre mathématique aussi bien les longueurs, surfaces ou volumes que des grandeurs physiques telles que la densité ou la charge. Mesurer la charge autour d’un point nécessite de considérer une partie raisonnable de l’espace où effectuer la mesure autour de ce point. Cette contrainte et quelques propriétés d’additivité (mesure d’une union par exemple) vont permettre de définir mathématiquement la notion de mesure.

LES TRIBUS

Un concept central de la théorie de la mesure est la notion de tribu. On considère ici un ensemble E quelconque et une classe E de parties de E. On dit que E est une tribu si elle vérifie trois conditions: E appartient à E; lorsqu’un élément est dans E alors son complémentaire l’est aussi; et cette classe est stable par union dénombrable. Un élément de la tribu s’appelle un ensemble mesurable. Le couple constitué d’un ensemble et d’une tribu s’appelle alors un espace mesurable. Il est possible de construire de très nombreuses tribus sur un ensemble donné, mais l’une d’entre elles joue en mathématique, et notamment en théorie des probabilités, un rôle fondamental. C’est la tribu boré-lienne. Elle s’appuie sur les propriétés topologiques de l’ensemble de base dans la mesure où elle est construite sur des ouverts de cet ensemble (dans R, ce sera à partir des intervalles ouverts). Les éléments de cette tribu, c’est-à-dire les ensembles mesurables, s’appellent des boréliens.

DÉFINITION MATHÉMATIQUE D’UNE MESURE

Pour définir mathématiquement, de manière rigoureuse, la notion de mesure, on s’appuie sur la notion de tribu et sur des propriétés d’additivité. On considère un espace mesurable, c’est-à-dire un couple formé par un ensemble et une tribu sur cet ensemble. Une mesure est une application allant de la tribu vers les réels positifs (éventuellement R) qui vérifie deux propriétés ; la mesure de l’ensemble vide est égale à zéro et, pour toute suite d’éléments disjoints de la tribu, la mesure de l’union dénombrable de ces éléments est égale à la somme des mesures de chaque élément. La deuxième propriété s’appelle la o-additivité. On dira en outre que la mesure est finie, ou de masse totale finie, si la mesure de l’ensemble de base est finie. On peut ainsi construire de très nombreuses mesures sur un ensemble, comme la mesure nulle (la mesure de chaque partie de l’ensemble de base est nulle) ou la mesure de comptage pour laquelle la mesure d’une partie est le nombre de ses éléments.

MESURE ET INTÉGRALE DE LEBESGUE

Une mesure joue un rôle très important en mathématiques, c’est la mesure de Lebesgue. Pour la définir, on se place dans le cas où l’ensemble de base est R (elle s’étend naturellement à Rd) muni de la tribu borélienne. La mesure de Lebesgue est la seule mesure invariante par translation et qui affecte la valeur 1 à l’intervalle fermé [0 ;1], Cette mesure permet de construire une théorie de l’intégration plus large que celle de Riemann. En effet, les fonctions intégrables au sens de Riemann doivent être continues par morceaux. Or, dans certains cas, on peut vouloir calculer des surfaces délimitées par des fonctions très irrégulières. On s’intéressera à la classe des fonctions mesurables, qui agrandit considérablement la classe des fonctions continues par morceaux. Lebesgue construit ainsi, avec les fonctions Lebesgue-mesurables, une classe plus importante de fonctions intégrables, englobant les fonctions intégrables au sens de Riemann et donnant des théorèmes de convergence plus simples.

MESURES ET PROBABILITÉS

L’histoire de la théorie des probabilités est très ancienne puisqu’on la fait habituellement démarrer avec les travaux de Fermât et Pascal au xvi Ie siècle, puis ceux de Bernoulli et de Moivre au xvi i Ie siècle. Mais ce n’est cependant qu’au début du xxe siècle que Poincaré, Borel et surtout Kolmogorov vont en écrire les fondements mathématiques en utilisant la naissante théorie de la mesure, lui fournissant ainsi une axiomatique à la fois cohérente et puissante. Les deux langages, ensembliste et probabiliste, vont alors cohabiter, semant le trouble chez les mathématiciens pendant de nombreuses années. Par exemple, un événement (probabiliste) est équivalent à une partie mesurable (ensembliste) où une observation (probabiliste) sera un point de l’espace (ensembliste). Kolmogorov définira la notion de mesure de probabilité sur un espace mesurable en considérant une mesure positive telle que la mesure de l’espace vaut 1. C’est dans ce cadre « mesurable » que la théorie des probabilités va alors pouvoir se développer.

À RETENIR

La théorie de la mesure est née pour pallier un défaut de la notion naturelle de « mesure » que l’on connaît sur des espaces euclidiens, telle que la mesure de la longueur dans ou d’un volume dans R3. Elle a permis de définir une notion de mesure sur des ensembles très abstraits ou de dimension infinie. C’est en utilisant cette théorie de la mesure que Lebesgue a pu construire une théorie de l’intégration plus riche que celle de Riemann ou que Kolmogorov a pu fournir une axiomatique cohérente et puissante à la théorie des probabilités.

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