Le problème de l’estimation de la mesure des surfaces est à l’origine de la théorie de l’intégration. Cette théorie prendra sa forme moderne avec les travaux de Riemann. Cependant, trop de fonctions restent non intégrables au sens de Riemann. C’est Lebesgue qui en fournira la forme la plus aboutie.

CALCULER L’AIRE

La théorie de l’intégration trouve son origine dans le problème de l’estimation de la mesure des surfaces. L’intégrale est ainsi apparue comme un outil permettant de calculer l’aire sous la courbe d’une fonction, certaines conditions de régularité étant fixées pour cette fonction. En 1823, Cauchy généralise la notion d’intégrale à toutes les fonctions continues, mais ce n’est qu’en 1867 que l’intégrale la plus couramment utilisée est formalisée par Riemann. L’idée de l’intégrale de Riemann est d’approximer l’aire sous la courbe d’une fonction f sur un intervalle [a; b] par la somme des aires de rectangles fabriqués à partir de subdivisions de l’intervalle. C’est la notion de fonctions en escalier (des fonctions constantes sur chaque subdivision de l’intervalle). Cette méthode permet d’élargir sensiblement l’ensemble des fonctions intégrables au sens de Riemann, notamment aux fonctions continues par morceaux ou aux fonctions réglées (admettant une limite finie à droite et à gauche).

UNION D’INTERVALLES ET NOMBRES RATIONNELS

À la fin du xixe siècle, il apparaît évidemment que l’intégration au sens de Riemann est trop limitée, et plusieurs mathématiciens (Jordan, Borel, Lebesgue, etc.) vont en proposer des généralisations. Riemann lui-même a conscience de la nature restrictive de sa théorie. Lebesgue montre notamment qu’une fonction est Riemann-intégrable si, et seulement si, l’ensemble de ses points de discontinuité est de mesure nulle (autrement dit, on peut inclure cet ensemble dans une union d’intervalles ouverts dont la somme des longueurs est arbitrairement petite). Il peut sembler, au premier abord, que ces conditions ne sont pas si fortes et que la notion d’intégrabilité au sens de Riemann pourrait finalement suffire. Mais, en réalité, un grand nombre de fonctions « naturelles » (rencontrées dans de très nombreux problèmes d’analyse) n’entrent pas dans ce cadre. L’exemple le plus simple est la fonction indicatrice de l’ensemble des nombres rationnels (qui vaut 1 si x est rationnel et 0 sinon).

APPROXIMER L’AIRE

En fait, c’est Henri Lebesgue qui va mettre en place la théorie de l’intégration la plus aboutie, celle qui est utilisée aujourd’hui par la majorité des mathématiciens. Elle n’annule pas la théorie de Riemann, elle la généralise à une classe de fonctions beaucoup plus large, puisque quasiment toutes les fonctions (non pathologiques) que l’on peut rencontrer en mathématiques sont intégrables au sens de Lebesgue.
L’idée de Lebesgue est assez simple mais absolument géniale. Il cherche, comme Riemann, à approximer l’aire sous la courbe par une union de rectangles. Mais si, dans le cas de Riemann, les rectangles s’appuient sur le domaine de définition, ceux de Lebesgue, a contrario, sont définis en fonction des valeurs prises par la fonction. Dans un cas, les rectangles sont « verticaux », dans l’autre ils sont « horizontaux ». L’idée géniale ici est que la brique élémentaire de l’intégrale n’est plus un seul rectangle, mais qu’elle peut être constituée de plusieurs, voire d’une infinité de rectangles.

L’ÉCHANGE INTÉGRALE-LIMITE

L’intégrale de Lebesgue permet donc de généraliser celle de Riemann à une classe de fonctions beaucoup plus vaste. Mais elle a d’autres avantages. Par exemple, elle règle, sous des hypothèses simples et faciles à vérifier, un problème très difficile à résoudre dans le cas de l’intégrale de Riemann: l’échange intégrale-limite. En effet, savoir si l’intégrale d’une limite est égale à la limite de l’intégrale est un problème qui n’a pas de solution générale pour l’intégrale de Riemann, si bien que l’on doit l’étudier au cas par cas. Parfois, on ne peut même pas répondre à cette question. La réponse à ce problème est positive dans le cas de l’intégrale de Lebesgue (sous des hypothèses simples). De plus, si la théorie de l’intégration de Riemann est très liée à la topologie de l’ensemble de définition de la fonction (la droite réelle), ce n’est plus le cas de l’intégrale de Lebesgue. Cela permet de l’étendre à des espaces beaucoup plus généraux que R sans aucune hypothèse topologique supplémentaire.

FONCTIONS DÉRIVÉES

L’intégration, outre sa capacité à mesurer des surfaces, est aussi utilisée comme l’opérateur réciproque de la dérivation. Intégrer la dérivée d’une fonction permet, normalement, de retrouver la fonction, et inversement. Malheureusement, dans le cadre de l’intégrale de Riemann, il n’est pas possible d’intégrer n’importe quelle fonction dérivée. Au début du xxe siècle, un certain nombre de mathématiciens (comme Volterra) construisent des classes de fonctions dérivables, dont la dérivée n’est pas intégrable au sens de Riemann, alors que cette dérivée est bornée (une hypothèse très forte et qui devrait « normalement » la rendre intégrable).
C’est d’ailleurs en s’attaquant à ce problème que Lebesgue va construire sa théorie de l’intégration. Ainsi, dans le cadre de l’intégrale de Lebesgue, l’intégration et la dérivation deviennent effectivement des opérations inverses l’une de l’autre. Toute fonction continue et dérivable dont la dérivée est bornée devient ici parfaitement intégrable.

À RETENIR

La théorie de l’intégration trouve son origine dans le problème de la mesure des surfaces. C’est Riemann qui, le premier, en donne une version valide pour un grand nombre de fonctions. Mais il reste trop de fonctions non intégrables. Elles le deviendront dans une théorie plus large, celle de Lebesgue. Beaucoup de problèmes que posait l’intégrale de Riemann trouvent ici des solutions, et la nouvelle classe des fonctions intégrables recouvre presque toutes les fonctions que l’on peut rencontrer.