Inventée par le mathématicien René Thom dans les années 1970, la théorie des catastrophes a pour objectif de formaliser le comportement de systèmes dans l’état desquels l’action continue d’un paramètre externe est susceptible de faire apparaître une rupture soudaine, une discontinuité.

DÉCRIRE LES PHÉNOMÈNES DISCONTINUS

La théorie des catastrophes est une invention du mathématicien René Thom, qu’il développe à partir des années 1960 et formalise en 1972 dans un livre aujourd’hui célèbre, Stabilité structurelle et morphogenèse. Cette théorie a pour objet d’élaborer une nouvelle conception du modèle mathématique en sciences et vise à décrire les phénomènes discontinus (avec une rupture, un événement soudain) à l’aide de modèles mathématiques continus. C’est donc une théorie de l’émergence, de la modification ou de la disparition plus ou moins abrupte de phénomènes observables au sein de systèmes régis par des équations dépendant continûment des paramètres. Cette théorie s’applique aussi bien en biologie, en économie (les chutes de la Bourse), en météorologie (coup de foudre, déferlement des vagues), qu’en sociologie (mouvements de foule ou émeutes) ou en linguistique. Elle a opéré une telle révolution de pensée que Thom fut présenté à l’époque de son émergence comme le nouveau Newton français.

LES VARIABLES CACHÉES

La théorie des catastrophes s’intéresse à des systèmes dont l’état interne est décrit par N variables qui sont supposées cachées (soit en trop grand nombre, soit inaccessibles à l’expérience). A contrario, les paramètres externes qui agissent sur ce système sont parfaitement connus et en petit nombre. Thom montra de manière précise que ce nombre était inférieur à 4 (il peut exister d’autres paramètres externes susceptibles d’influencer le système, mais ils sont considérés comme constants). La théorie des catastrophes est donc une théorie de l’action. En effet, ce n’est pas tant le système en soi qui l’intéresse que sa réaction face à des stimuli externes. La théorie apporte des connaissances non pas sur le système (ni sur les stimuli externes), mais sur la réaction de l’un aux autres. L’outil mathématique utilisé par la théorie des catastrophes est la théorie des équations différentielles. Ces dernières permettent d’étudier le comportement d’un système ainsi que son évolution dans le temps.

LA FONCTION F

La théorie des catastrophes est fondée sur l’existence d’un potentiel F régissant à lui seul le système. Physiquement, cela signifie qu’à toute valeur imposée aux paramètres externes, les variables internes répondent en se plaçant sur un minimum local de la fonction F appliquée aux paramètres. Mathématiquement, c’est le seul cas où l’on pourra résoudre les équations différentielles décrivant le système. On dit alors qu’elles « dérivent » du potentiel F. Les valeurs des paramètres externes sont repérées par des points dans un espace dont la dimension est le nombre de paramètres (donc, ici, au maximum 4). Soumis à l’excitation continue des paramètres externes, le système évolue lui aussi de manière continue jusqu’à ce qu’il rencontre des points catastrophiques, dont le franchissement par les paramètres externes implique un saut des variables internes, une réponse discontinue et donc un changement de la morphologie du système. Le lieu de ces points est l’« ensemble des catastrophes ».

DIMENSION ET CATASTROPHES ÉLÉMENTAIRES

Le théorème fondamental de la théorie des catastrophes énonce l’existence de seulement cinq catastrophes élémentaires en dimension 3 (trois paramètres externes), auxquelles il faut ajouter deux autres lorsque l’on passe en dimension 4 (quatre paramètres externes). On note que la forme de ces catastrophes nous est familière et que leurs noms ont été choisis pour souligner leur ressemblance avec des objets usuels. Chaque catastrophe élémentaire est définie par un potentiel, une fonction dépendant des paramètres externes. Pour la dimension 3, les catastrophes élémentaires sont le pli, la fronce, la queue-d’aronde, l’ombilic hyperbolique et l’ombilic elliptique, auxquels il faut ajouter le papillon et l’ombilic parabolique (aussi appelé le « champignon ») lorsque l’on passe en dimension 4. Si l’on souhaitait s’attaquer à la dimension 5, il faudrait ajouter une liste infinie de catastrophes élémentaires, ce qui rend la théorie inutilisable. Mais la dimension 4 n’est-elle pas celle de l’espace-temps ?

RÉSISTANCE ET RUPTURE

Une fois définies les catastrophes élémentaires, la théorie des catastrophes assure que pour « presque tous » les systèmes l’ensemble des catastrophes obtenues en faisant varier simultanément trois ou quatre paramètres externes est composé uniquement des ensembles de catastrophes des sept catastrophes élémentaires. Les formes observées dans le réel ne sont pourtant pas strictement identiques aux catastrophes élémentaires, ni même à la combinaison de plusieurs d’entre elles. Cela n’empêche pas la théorie d’être opératoire, car la distance entre la forme mathématique de la catastrophe et la forme observée dans le réel peut être considérée comme l’expression de la résistance à l’apparition de la rupture. Mais, que la forme des objets du réel soit proche des formes catastrophiques ou qu’elle en soit éloignée, la vision morphodynamique permet quand même de faire « parler » le réel. En revanche, la méthode ne permet aucune prévision : généralement, elle est purement qualitative et descriptive.

À RETENIR

La théorie des catastrophes a pour objet de décrire les ruptures dans l’état d’un système à l’aide de modèles mathématiques continus. Elle s’applique à une multitude de situations physiques. Le cadre opératoire de la théorie est un espace à quatre dimensions au maximum, c’est-à-dire que l’on se restreint à l’action d’au plus quatre stimuli externes. Le résultat fondamental est que, pour presque tous les systèmes, les catastrophes peuvent être décrites comme des combinaisons de sept catastrophes élémentaires.