Lorsqu’un processus stochastique dépend du temps, il est possible de décrire son évolution à l’aide d’équations différentielles stochastiques. Pour les résoudre, il faut définir la notion d’intégrale stochastique. Ce sera fait avec le lemme d’Itô, véritable clé de voûte du calcul stochastique.
Le lemme d’Itô, pierre angulaire du calcul stochastique, a trouvé dans les mathématiques financières l’une de ses plus pertinentes applications.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES STOCHASTIQUES
En mathématiques, une équation différentielle est une formalisation permettant de décrire le mouvement d’un système physique. Dans le cas du mouvement brownien (mouvement irrégulier que l’on a modélisé comme étant aléatoire), il est possible de vouloir le décrire en utilisant la formalisation en équation différentielle. Naturellement, il est nécessaire d’ajouter un terme à l’équation, terme qui modélisera la force aléatoire agissant sur les particules (sinon, il faudrait connaître le mouvement de chacune des molécules du fluide environnant pour calculer précisément la force reçue par la particule brownienne, ce qui est hors de portée). D’une manière générale, lorsque l’on ajoute un processus aléatoire au sein d’une équation différentielle, on obtient une équation différentielle stochastique (EDS). La difficulté est bien sûr de trouver une « bonne » forme pour définir le terme aléatoire. On le définira en considérant que l’intégrale temporelle de ce processus est un mouvement brownien.
INTÉGRALE D’ITÔ
Une fois défini le concept d’équations différentielles stochastiques, il est naturel de vouloir les résoudre. En écrivant l’équation intégrale du mouvement, on voit apparaître une intégrale d’un genre nouveau, l’intégrale d’un processus par rapport à un autre processus (un mouvement brownien). C’est ce que l’on appelle une intégrale stochastique. Mathématiquement, cet objet n’est pas défini. On pourrait, dans un premier temps, tenter de la définir comme le fit Riemann pour les fonctions réelles. Malheureusement, cette approche ne fonctionne pas de manière immédiate avec les processus stochastiques. En réalité, il faudra attendre les années 1940 et les travaux du mathématicien japonais Kyoshi Itô pour qu’une définition mathématiquement rigoureuse soit énoncée. Itô s’inspire de la construction de l’intégrale de Riemann comme limite des sommes de Riemann. L’intégrale d’Itô sera donc définie comme limite (une limite en moyenne quadratique) de sommes portant sur les processus.
CALCUL STOCHASTIQUE
La définition rigoureuse de l’intégrale d’Itô, et donc de la notion d’intégrales stochastiques, va permettre au calcul stochastique de se développer. Elle en représente même la clé de voûte. Le calcul stochastique peut être vu comme une extension de la théorie des probabilités dans la mesure où il étudie l’évolution des processus aléatoires dans le temps. La formule que donne Itô afin de définir une intégrale stochastique est aujourd’hui connue sous le nom de « lemme d’Itô ». Il représente une sorte de généralisation d’un des résultats fondamentaux du calcul classique, la formule de Newton, qui permet d’exprimer une fonction dérivable et de dérivée continue comme l’intégrale de sa dérivée. Au même titre que la formule de Newton ouvrit la voie du calcul différentiel, le lemme d’Itô permit la construction du calcul stochastique. Ce dernier trouve des applications chaque fois que des processus stochastiques entrent en jeu, notamment en physique ou en mathématiques financières.
MODÈLE DE BLACK ET SCHOLES
Un exemple très instructif quant à l’application du lemme d’Itô se trouve dans l’univers de la finance, avec le modèle de marché de Black et Scholes. Depuis la thèse de Louis Bachelier en 1901, l’idée que les modèles probabilistes étaient les mieux adaptés aux questions soulevées par la finance est couramment acceptée. En 1973, Black et Scholes proposent un modèle, à la fois simple et efficace, qui décrit le marché financier. C’est un modèle à deux actifs, l’un risqué (typiquement une action) et l’autre non risqué (typiquement une obligation). Si l’évolution de l’obligation est relativement simple à décrire, le prix de l’action, lui, se révèle plus compliqué puisqu’il est régi par une équation différentielle stochastique. Le lemme d’Itô permet alors de résoudre cette EDS et fournit donc l’évolution du prix de l’action, qui dépend de plusieurs paramètres dont la volatilité. C’est à partir de cette solution de l’EDS que Black et Scholes vont pouvoir donner un modèle du marché financier.
UNE HISTOIRE DE SEMI-MARTINGALES
Le lemme d’Itô a des conséquences si fondamentales qu’il est devenu la pierre angulaire du calcul stochastique. Il permet par exemple de jeter un pont entre les solutions des équations différentielles stochastiques et des opérateurs de second ordre, et donc d’injecter le calcul stochastique dans le monde des équations aux dérivées partielles. Il permet également d’affirmer l’existence de solutions d’équations différentielles stochastiques en n’imposant que de faibles conditions de régularité aux coefficients de l’équation. Mais la grande force du lemme d’Itô est qu’il reste valable pour des processus fondamentaux en calcul stochastique, les martingales et les semi-martingales (ces dernières permettant de regrouper l’intégrale stochastique et l’intégrale de Stieltjes en une seule intégrale). Les semi-martingales étant le cadre privilégié des mathématiques financières par exemple, on comprend aisément la place fondatrice qu’a pu prendre le lemme d’Itô au sein du calcul stochastique.
À RETENIR
Lorsque l’on souhaite décrire des mouvements soumis à une action aléatoire (tels que le mouvement brownien), il faut avoir recours à des équations différentielles stochastiques. Afin de les résoudre ou simplement d’affirmer l’existence de solutions, il est nécessaire de définir ce que l’on appelle une intégrale stochastique.
La définition mathématique rigoureuse de ce type d’intégrale sera faite par le mathématicien japonais Kyoshi Itô, d’où son nom: l’intégrale d’Itô. Elle constitue la clé de voûte de l’ensemble du calcul stochastique.