La diffusion des mathématiques auprès du grand public est une tâche ardue, tant cette discipline semble mal aimée. Denis Guedj tente, à la fin du siècle dernier, de les raconter en utilisant la forme romanesque. Réussie ou non, cette première acte la naissance d’une nouvelle forme de vulgarisation.
UN ROMAN MATHÉMATIQUE
Paru en septembre 1998 aux éditions du Seuil, Le Théorème du perroquet fut un phénomène éditorial, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, il connaît un succès foudroyant, dépassant la barre des cent mille exemplaires en moins de six mois et devenant dans les années qui suivent un véritable best-seller, traduit dans pas moins de vingt langues à travers le monde. D’autre part, ce succès tient certainement aussi à la personnalité de l’auteur, touche-à-tout et homme de médias. Enfin, et c’est sans doute là que réside tout l’intérêt de ce livre, Le Théorème du perroquet est la première véritable tentative d’intrication entre roman policier et histoire des mathématiques. Totalement ratée pour les uns, admirablement réussie pour les autres, là n’est pas le sujet. La force du livre de Guedj est d’avoir tenté autre chose, la vulgarisation des mathématiques étant au point mort depuis que le monde est monde. Les mathématiques font leur entrée dans les bibliothèques des particuliers. C’est déjà ça.
UNE FIGURE MÉDIATIQUE
Le succès du Théorème du perroquet tient certainement à la personnalité de Denis Guedj. Né en 1940 à Sétif en Algérie, de formation universitaire, Denis Guedj participe à la création de l’université Paris-VIII alors à Vincennes, où il fonde en 1969 le département de mathématiques et où il enseignera par la suite l’histoire des sciences. Il fut également responsable des mathématiques pour l’encyclopédie Themci de Larousse. De 1994 à 1997, il collabore au journal Libération, en écrivant des chroniques rassemblées par la suite dans l’ouvrage La gratuité ne vaut plus rien paru au Seuil en 1997. Le Théorème du perroquet est son cinquième livre et son premier succès de librairie. En plus d’être romancier, journaliste, scénariste, enseignant et comédien à ses heures, Denis Guedj est devenu une figure incontournable lorsque les médias voulaient aborder la question des sciences, et notamment des mathématiques. Ce premier roman-essai grand public a sans doute profité de cette image médiatique.
UNE ENQUÊTE MATHÉMATICO-POLICIÈRE
Le Théorème du perroquet est une sorte de roman policier dont l’issue de l’intrigue, pour être décryptée, demande une très bonne connaissance de l’histoire des mathématiques et des mathématiciens. Pierre Ruche, libraire à la retraite, reçoit une mystérieuse lettre d’Amazonie écrite peu avant sa mort par son ami Elgar Grosrouvre, mathématicien de génie. Dans le même temps, ce dernier lui lègue une fabuleuse bibliothèque entièrement consacrée aux mathématiques. Mais comment classer ces précieux ouvrages ? Pour y parvenir, Ruche, accompagné de Perrette, de Max, de Jonathan et Léa, les jumeaux, et de Nofutur le perroquet amnésique, se lance dans un long voyage à travers l’histoire des mathématiques, depuis les Grecs anciens jusqu’à nos jours. Guedj balaie ici l’histoire des mathématiques, du célèbre théorème de Thalès à la conjecture de Poincaré ou à celle, beaucoup moins connue, de Goldbach. On trouve ici un autre angle de découverte des mathématiques que celui enseigné à l’école.
LA DIFFICILE VULGARISATION DES MATHÉMATIQUES
La question que pose ce roman est bien celle de la vulgarisation des mathématiques. Un peu à l’image de celle posée, en ce qui concerne la philosophie, par l’ouvrage Le Monde de Sophie de Jostein Gaardner, best-seller paru en 1994 et qui, lui aussi, mêlait une intrigue à l’histoire de la philosophie. A-t-on réellement appris quelque chose une fois ce type d’ouvrage refermé? Et si oui, qu’en retiendra-t-on ? Est-ce la bonne manière de transformer la haine des mathématiques en amour, ou tout au moins en amitié ? Rien n’est moins sûr. La difficulté que rencontre ici Denis Guedj, plus caractéristique des mathématiques, est qu’il se trouve contraint de juxtaposer intrigue policière et histoire des mathématiques, sans jamais réellement réussir à les intriquer, comme avait su le faire, à leur époque, les membres de l’OuLiPo. Le lien ici ne se réalise pas, l’intrigue n’aidant en rien à une meilleure compréhension des mathématiques et ces dernières ne rendant pas l’intrigue plus captivante.
À LA RECHERCHE DE LA LITTÉRATURE MATHÉMATIQUE
Ce livre a soulevé de nombreux débats chez les mathématiciens mais aussi chez les tenants d’une branche dure de la vulgarisation. Pour les mathématiciens, Denis Guedj n’est pas un mathématicien. Ce n’est pas une tare en soi, mais cela n’aide pas à raconter l’histoire d’une discipline que l’on ne pratique pas. Ensuite, certains diront que diluer les mathématiques au sein d’une intrigue policière, en les juxtaposant l’une à l’autre, ne peut que brouiller le propos et ne rend pas les mathématiques plus compréhensibles. Reste alors la tentative courageuse de Denis Guedj, ouvrant la voie à d’autres romans scientifiques, comme ceux de Jean-Pierre Lumi-net, François-Henri Désérable ou, plus récemment, Alain Connes, mêlant intrigue policière et mécanique quantique. Il n’existe pas à proprement parler de roman mathématique, dans lequel le romanesque serait intimement lié aux mathématiques, un livre dont la lecture nous permettrait de faire des mathématiques sans presque nous en rendre compte.