On doit au naturaliste suédois Cari Linné la première tentative de classification scientifique de l’ensemble des organismes vivants ainsi que l’invention du système de nomenclature binominale en latin (nom de genre et nom d’espèce) qui est encore à la base de la taxinomie moderne

CLASSER LES ORGANISMES VIVANTS

La biologie commence en quelque sorte avec la classification des organismes vivants. Dès [‘Antiquité, l’homme éprouve le besoin de classer les espèces qui l’environnent – moins les animaux, dont un faible nombre d’espèces a été découvert, que les plantes, bien plus nombreuses à être utilisées, notamment en herboristerie. De nombreux systèmes de classification voient ainsi le jour en botanique. Le botaniste de Louis XV, Bernard de Jussieu (1699-1777) regroupe les espèces de plantes du jardin du Trianon selon la structure de leur fleur. L’idée d’un ordre sous-jacent à la nature, que l’on pourrait mettre en évidence grâce à l’étude de leur plan d’organisation, émerge. Le naturaliste suédois Cari von Linné (1707-1778) va jeter les bases de la taxinomie, la science qui décrit et regroupe les organismes vivants en « taxons » pour pouvoir les identifier et les classer, en inventant, notamment, la nomenclature scientifique, qui, aujourd’hui encore, est utilisée pour les nommer.

LES TROIS RÈGNES DE LA NATURE

Linné est le premier à proposer une classification systématique des trois règnes de la nature, les deux règnes du vivant, animaux et végétaux, mais aussi celui des minéraux. En 1735, il publie à Leyde la première édition de son oeuvre majeure, le Systema naturæ, un simple opuscule de onze pages entièrement rédigé en latin, dans lequel il expose sa méthode de classification. Au fil des ans et des éditions, Linné va considérablement enrichir son système de nouvelles espèces et remanier sa classification. La treizième édition qui paraît en 1770 atteint 3 000 pages. Linné divise le règne animal en six classes: les quadrupèdes, les oiseaux, les amphibies, les poissons, les insectes et les vers, à partir de leurs caractères anatomiques. Malgré les critiques, sa classification va influencer des générations entières de naturalistes, avant de tomber en désuétude. On lui doit en outre une innovation qui reste à la base de la taxinomie moderne, celle de la dénomination des espèces…

DÉSIGNER PRÉCISÉMENT L’ESPÈCE

C’est dans la dixième édition du Systema naturæ, publiée en 1758 que Linné met au point son système de nomenclature binominale pour désigner avec précision les espèces. Toujours en vigueur pour les animaux, les plantes et les champignons, il consiste en une combinaison de deux noms écrits en latin (même s’ils ont une autre origine linguistique) formant un binôme: un nom de genre (le taxon supérieur à l’espèce), dont la première lettre est une majuscule, et une épithète pour l’espèce, en minuscules, qui peut évoquer un trait caractéristique de l’organisme, faire référence au nom de son inventeur, au lieu où il vit, etc. Dans Homo sapiens, « Homo » désigne ainsi le genre auquel nous appartenons et « sapiens » notre espèce, le terme provenant de l’adjectif latin pour « sage ». Ce système binominal permet d’éviter de recourir aux différents noms vernaculaires employés localement, ce qui a permis aux naturalistes d’avoir un langage commun pour leurs échanges scientifiques.

UN SYSTÈME FIXISTE

Au contraire de la nomenclature binominale, la systématique linnéenne n’est pas passée à la postérité. Du temps du naturaliste suédois, déjà, elle fut vivement critiquée pour son caractère artificiel et fixiste. Pour Linné, les espèces vivantes ont été créées par Dieu et n’ont pas évolué depuis la Genèse. Le but de sa systématique est de démontrer la grandeur de cette création en en révélant l’ordre harmonieux sous-jacent, ce qui explique qu’il ait recouru à des regroupements ou à des séparations d’espèces peu rationnels (classant ainsi les oiseaux en six ensembles répondant aux six ensembles des mammifères). Même si Linné fut conduit à admettre l’existence de variétés au sein des espèces et que son œuvre de classification a offert une base de travail précieuse pour les théories transformistes, lui-même n’établit aucune relation phylogénétique entre les espèces et ne préfigure aucunement la théorie de l’évolution. Il se voyait même comme un nouvel Adam nommant la création divine…

L’INVENTION DU PRIMATE

En 1758, la dixième édition du Systema naturæ regroupe l’homme avec les singes parmi les « primates », dénomination inventée pour l’occasion. C’est un moment charnière dans l’histoire naturelle, car l’homme est ainsi rapproché des autres espèces vivantes, et en particulier du singe. Mais il ne faut pas s’y tromper: Linné reste fidèle à une vision ancienne et fixiste, celle de l’« échelle des êtres ». Dans cette hiérarchie créée par Dieu, l’homme blanc trône au sommet, au-dessus des « races » jugées inférieures qui le séparent graduellement de l’animalité. Linné reconnaît ainsi six variétés au sein de l’espèce Homo sapiens, quatre correspondent aux continents (Amérique, Europe, Asie, Afrique) et deux aux êtres retournés à l’état sauvage ou affligés de pathologies monstrueuses. De plus, il identifiait une deuxième espèce humaine, Homo troglodytes, regroupant différentes créatures imaginaires ou réelles, dont certaines correspondaient aux descriptions lacunaires des grands singes.

À RETENIR

Le naturaliste suédois Cari Linné (1707-1778) fut le premier à proposer une classification systématique du monde vivant, qu’il exposa tout au long des éditions de son ouvrage majeur, Systema naturæ. Si le système de Linné, profondément fixiste et en partie artificiel, est tombé dans l’oubli, il eut une profonde influence sur les naturalistes, et l’une de ses inventions, le système de nomenclature binominale des espèces, proposé en 1758, fait toujours partie des outils de la taxinomie moderne pour nommer les organismes.