Aristote représente, aux côtés de Platon, ce que la pensée humaine peut avoir de plus extraordinaire. Au sein d’une œuvre qui a abordé à peu près tous les sujets, on trouve ses Leçons sur les principes généraux de la nature, autrement dit son traité de physique. Un texte sublime et fondateur.
La physique aristotélicienne, et notamment sa cosmologie, dominera le monde occidental jusqu’à la naissance de la science moderne avec Galilée et Descartes.
UN TEXTE MAJEUR
C’est entre 384 et 322 av. J.-C. qu’Aristote, disciple de Platon, construit l’une des œuvres de la pensée les plus importantes que le monde ait connues. Au sein de cette œuvre colossale, on trouve un traité de la nature. Physique ou Leçons sur les principes généraux de la nature sera traduit pour la première fois en France par J. Barthélemy-Saint-Hilaire, membre de l’Académie des sciences morales et politiques, en 1862. Toutefois, depuis l’avènement de la physique moderne, la physique d’Aristote a perdu son ancien prestige, voire sa crédibilité. Pour beaucoup, elle ne constitue plus qu’un objet d’étude pouvant intéresser uniquement l’histoire des sciences ou de la philosophie. Ce phénomène se poursuit encore aujourd’hui, puisque les livres sur la physique sont rares et, le plus souvent, ne se concentrent que sur un sujet particulier. Pourtant, malgré les « erreurs » d’Aristote, Physique reste l’un des textes majeurs de l’histoire des sciences, voire de l’histoire de la pensée.
UNE FORMIDABLE FÉCONDITÉ
« Le livre fondamental de la philosophie occidentale », disait le philosophe Martin Heidegger à propos de Physique d’Aristote. Peu d’ouvrages, il est vrai, auront aussi profondément et aussi durablement marqué nos façons de penser, et sur un point au moins, Heidegger a raison : la nature aristotélicienne, dans son opposition à la surnature, l’art et l’histoire, est bien toujours notre nature. En prenant pour objet l’étude du changement, Physique livre, à l’ombre des débats métaphysiques qui la sous-tendent, des analyses qui ont nourri le débat scientifique, y compris par leurs erreurs, leurs lacunes et leurs insuffisances, et qui comptent parmi les plus intéressantes et les plus fécondes de l’histoire de la philosophie. Certes, Aristote n’a pas été un scientifique au sens moderne du terme. Il n’en a pas moins joué un rôle éminent dans l’histoire des sciences, rôle qui dépasse largement celui d’obstacle à l’apparition de la science moderne, voire qui a en permis l’émergence.
PRINCIPES ET MOUVEMENTS
Aristote présente son ouvrage en deux parties : d’une part le Traité des principes et, d’autre part, le Traité du mouvement. Aristote avance que la nature est un principe de mouvement et le mouvement est l’acte imparfait du mobile en tant que tel. Le mouvement est un des quatre modes du changement, qui peut être local, quantitatif, qualificatif ou essentiel. Le mouvement est l’effet immédiat d’une cause efficiente, mais celle-ci est subordonnée à une cause formelle et à une cause finale et requiert une quatrième cause : la cause matérielle. Le mouvement ne peut être infini qu’en puissance. L’espace est la limite intérieure du corps ambiant : il n’est donc pas une réalité et, étant la limite immobile du contenant, il n’est pas infini ; le temps est le nombre du mouvement; en tant que « nombre nombrant », son existence dépend de celle de l’âme. Enfin, le mouvement premier requiert un moteur immobile, dernier terme des moteurs mus, mais ne pouvant se mouvoir lui-même sans contradiction.
UN CADRE DE PENSÉE
Physique d’Aristote institue le cadre qui restera celui de la tradition scientifique européenne en dépit de toutes les évolutions et ruptures, selon lequel les transformations des corps naturels sont explicables par des régularités universellement valides, produites par des causes inhérentes à leur constitution même, sans qu’il soit nécessaire de les justifier par un ordre de réalité supérieur. Aristote y met en évidence les conditions de possibilité de tout changement, et se demande quel type d’existence il faut accorder aux choses qui semblent nécessaires pour en rendre compte, comme le temps, l’infini, le continu et le vide. Cette pièce maîtresse de son œuvre fait ainsi le lien entre l’ontologie générale et les sciences plus régionales telles que la cosmologie ou la biologie. Le texte est souvent accompagné de notes destinées à rendre la lecture plus accessible, mais aussi à fournir aux spécialistes une discussion approfondie des choix de traduction et d’interprétation.
PLATON OU ARISTOTE
La pensée aristotélicienne a eu des effets notoires sur l’histoire des sciences pendant des siècles. Aristote est d’abord celui qui a ouvert à l’investigation rationnelle un ensemble impressionnant de domaines. La plupart des sciences modernes ont un fondement aristotélicien : sciences naturelles, psychologie, économie, logique, linguistique, théorie littéraire, etc. Aristote a opéré dans le champ du savoir un découpage qui est encore le nôtre, même si nous ne nommons pas toujours les sciences de la même manière. Cette conception encyclopédique du savoir s’est réalisée dans l’enseignement du Lycée et a aussi fortement inspiré l’organisation du Musée d’Alexandrie, centre sans précédent d’enseignement et de recherche. Mais Aristote a aussi laissé à l’histoire de la philosophie une « manière de penser » qui a eu de grands effets sur les sciences. On dit souvent que tout homme est soit platonicien, soit aristotélicien. Toute schématique qu’elle soit, cette maxime n’en est pas moins vraie.