L’œuvre de Platon est, à bien des égards, globalement incontournable. Cependant, le Timée est souvent considéré comme son texte le plus important, notamment par ses premiers disciples. Ce dialogue, véritable cosmologie platonicienne, reste aujourd’hui encore une source d’émerveillement.
UN MONOLOGUE FONDATEUR
Sans trop exagérer, nous pouvons affirmer que l’ensemble de l’œuvre de Platon est incontournable. Pratiquement tous les sujets y sont abordés, et la pensée platonicienne va influencer le monde occidental jusqu’à nos jours, soit par rejet, soit par adhésion, soit en tentant d’en appréhender toute la richesse. Le Timée, œuvre de vieillesse de Platon, occupe cependant une place à part, essentiellement car ce dialogue est le seul que Platon écrira sur le thème de la physique. Cette place à part est aussi due à la forme du texte, un long monologue sans fioritures, un long exposé peu habituel dans les dialogues platoniciens. De plus, si le Timée est considéré comme un dialogue de la dernière période, il faut toutefois noter que le modèle politique mentionné par Socrate au début du dialogue rappelle La République bien plus que Les Lois. Ce dialogue est indispensable pour qui veut penser le monde, dans la mesure où il pose le socle de toute réflexion sur la physique qui gouverne notre Univers.
LES QUATRE PERSONNAGES
Le Timée se présente comme un dialogue direct entre quatre personnages : Socrate, Timée, Critias et Hermocrate. Ils sont présentés par Socrate comme n’étant ni poètes, ni sophistes, mais des gens « qui par leur nature et leur formation, participent à la fois de la politique et de la philosophie ». C’est le cas de Timée de Locres, dont nous ne savons rien par ailleurs (sans doute un philosophe pythagoricien). L’identification de Critias pose d’autres difficultés. S’agit-il du tyran, fils de Cal-laischros, cousin de Périctionè? Ou s’agit-il du grand-père du tyran? Quant à Hermocrate, il s’agit vraisemblablement du général syracusain. Le dialogue est présenté comme prenant la suite d’une conversation qui s’est tenue la veille; cette conversation portait sur le régime politique idéal, et le résumé qu’en fait Socrate rappelle les thèses de La République. Ce préambule politique, ainsi que la partie de Critias, inscrit dans le dialogue de Platon la physique dans un horizon politique.
L’INTELLIGENCE ET LA NÉCESSITÉ
L’exposé de Timée suit une progression complexe. Dans un premier temps, Timée décrit la constitution du corps et de l’âme du monde par l’intelligence ; dans un deuxième temps, il aborde rétrospectivement l’état du Tout avant son organisation par l’intelligence. Cet état du Tout précosmique est le fait de la Nécessité. Dans un troisième temps, il analyse l’action conjointe de l’intelligence et de la Nécessité dans la constitution de l’être humain : c’est à la fois une description de la physiologie du corps humain et une analyse des parties de l’âme humaine. L’ordre de l’exposé témoigne à lui seul de l’originalité de la physique platonicienne. Dire « comment » une chose est faite ne nous dit pas « pourquoi » elle existe. La seule cause véritable, c’est la fin, le Bien que se fixe la divinité dans l’ordonnancement du monde. La physique du Timée est téléologique. L’homme est l’animal par excellence, que l’intelligence crée à l’imitation du monde : un microcosme à l’intérieur du macrocosme.
L’ÂME DU MONDE
Pour Platon, l’âme du monde est le principe des mouvements ordonnés de l’Univers. C’est la cause générale de la vie et, inversement, la vie ne se manifeste que par des mouvements régulièrement ordonnés vers une certaine fin. « Au centre de l’Univers, le démiurge mit une âme, qui s’étend partout et enveloppe même le corps de l’Univers ». Platon, reprenant les enseignements pythagoriciens, avance l’idée que les nombres auxquels se réduisent les lois de la nature sont les seules choses fixes et certaines au sein du changement perpétuel de toutes choses. Ainsi, c’est aux nombres et aux proportions qu’il a recours pour expliquer le monde et l’âme du monde. Selon Platon, le Nombre porte partout l’ordre, la mesure et la beauté. Timée explique que le monde, pour être parfait, devra contenir quatre espèces de vivants: l’espèce divine des astres, l’espèce ailée, l’espèce aquatique et l’espèce terrestre. Mais il ne parle de manière détaillée que de deux espèces : les astres et les êtres humains.
UNE INFLUENCE DURABLE
Le Timée est un texte qui rayonne et qui interroge encore aujourd’hui. Depuis les premiers disciples jusqu’aux philosophes contemporains comme Alain Badiou, en passant par Socrate, les stoïciens, Épicure ou les grands scientifiques qui firent avancer notre modèle cosmologique, comme Galilée ou Copernic, le Timée reste un texte de référence absolue. La question principale que se posent les exégètes de Platon est bien sûr celfê concernant l’âme du monde, bien cachée dans les passages les plus obscurs du Timée. Mais, au-delà de l’exposé de la cosmologie platonicienne, la physique du Timée est téléologique et s’inscrit dans un projet éthique. Etre un homme, c’est prendre soin de son âme, créée par la divinité et placée sous la protection des astres. Pour accomplir son destin, cette âme doit se rendre maître des désirs et passions que suscite son incarnation. Ainsi, le Timée devient un hymne à l’harmonie, que ce soit celle du monde, de l’homme et, dans sa dimension politique, de la cité.