La théorie des nœuds est née au milieu du xixe siècle pour être finalement théorisée par Henri Poincaré au sein de la topologie algébrique. Elle a connu un développement accéléré depuis une trentaine d’années et trouve de nombreuses applications, notamment en biologie ou en cosmologie.

LA MATIERE ET LES ATOMES

Carl Friedrich Gauss, au début du xixe siècle, est le premier mathématicien à étudier les nœuds en définissant la notion de nombre d’entrelacs pour une paire de nœuds. Ce sont ensuite deux physiciens, Lord Kelvin et Peter Tait, vers le milieu du xixe siècle, qui firent avancer cette théorie. Le premier proposa un modèle de la matière dans lequel les atomes sont représentés par des tourbillons en forme de nœud, le type de nœud devant déterminer les propriétés physico-chimiques de l’atome. Comprendre la matière revenait donc à classer les nœuds. C’est le travail qu’entreprit Peter Tait. Il fournit ainsi la première classification des nœuds jusqu’à 10 croisements.
Mais c’est en réalité Henri Poincaré, à la fin du xixe siècle, qui fournit le cadre formel pour l’étude des nœuds, la topologie algébrique (la branche des mathématiques qui cherche à comprendre les espaces topologiques en leur associant des invariants algébriques comme des nombres entiers, des groupes, des anneaux, etc.).

FICELLE ET ENTRELACS

Un nœud est une courbe fermée dans l’espace de dimension 3. C’est donc un sous-ensemble de points de R3 dont chaque point peut être mis en relation (en bijection pour être précis) avec un point d’un cercle. Pour visualiser un point, il suffit d’imaginer une ficelle dont les extrémités ont été recollées l’une avec l’autre. L’exemple le plus simple est le nœud trivial, qui est un « nœud non noué » et qui est obtenu en recollant les extrémités d’une ficelle sans nœud. C’est en fait la circonférence d’un cercle. Le nœud de trèfle (avec trois entrelacs, comme un trèfle à trois feuilles) est un peu plus compliqué. Et ainsi de suite, jusqu’à un très grand nombre possible d’entrelacs et des nœuds très compliqués. On voit bien que l’on peut tordre ou tirer la ficelle (sans toute fois la rompre) sans changer le type de nœud : seul son aspect change. On dit alors que des nœuds sont « équivalents » lorsque l’on peut amener la ficelle de l’un sur celle de l’autre simplement en tordant ou en tirant les ficelles.

ÉQUIVALENCE ET INVARIANT

La théorie des nœuds cherche alors à répondre à deux questions : si l’on se donne un nœud, est-il vraiment noué? Et si l’on se donne deux nœuds, sont-‘Is équivalents ? Pour répondre à ces questions, le théoricien des nœuds utilise un certain nombre d’outils, comme la représentation (appelée « diagramme du nœud », une projection du nœud sur un plan), mais dont le plus efficace est la notion d’invariant. Un invariant est une quantité qui ne varie pas lorsqu’on fait subir au nœud une déformation continue sans déchirure. Deux nœuds ne seront pas équivalents lorsque le calcul de l’invariant pour chaque nœud ne donnera pas le même résultat. A contrario, deux nœuds ayant le même invariant ne sont pas directement équivalents : il faut soit trouver un autre invariant qui prouve qu’ils sont différents, soit prouver directement que ce sont les mêmes nœuds. Tous les invariants calculables connus à ce jour sont donc incomplets, au sens où certains nœuds effectivement différents ont le même invariant.

NŒUD TRIVIAL ET NOMBRE GORDIEN

L’invariant le plus naturel à définir serait le nombre de croisements du nœud. Or, on constate qu’il peut varier selon le diagramme (on peut en effet obtenir deux diagrammes différents pour un même nœud). En fait, l’invariant qui fonctionne bien est le nombre minimal de croisements du nœud. Pour le nœud trivial, par exemple, ce nombre vaut 0, et pour le nœud de trèfle il vaut 3. C’est cet invariant qu’a utilisé Tait pour sa classification, même s’il reste très difficile à calculer. Un autre invariant classique est le nombre gordien. Étant donné un nœud, il est possible de le transformer en nœud simple en le bougeant dans l’espace et en permettant aux segments qui le composent de se couper un nombre fini de fois. Le nombre gordien est le nombre minimal de telles sections nécessaires pour transformer le nœud en nœud simple. Des techniques beaucoup plus élaborées de topologie algébrique qui permettent de classer les différents types de nœud ont vu le jour depuis une trentaine d’années.

BIOLOGIE ET PHYSIQUE QUANTIQUE

On trouve des applications de la théorie des nœuds dans de nombreuses disciplines. En biologie, par exemple, l’étude des enzymes qui agissent sur l’ADN utilise des idées de la théorie des nœuds. L’ADN se présente en effet comme une double hélice nouée dans l’espace dont les deux extrémités sont parfois recollées l’une à l’autre. Ce nœud est très fortement tordu dans l’espace, et pour pouvoir recopier l’information contenue dans le code génétique il est nécessaire tout d’abord de dénouer ce nœud. Une des façons d’étudier l’action de ces enzymes est aujourd’hui de « photographier » un nœud d’ADN, de comprendre le type de nœud, puis d’estimer le nombre de coupures et de recollements nécessaires pour dénouer ce nœud.
En physique théorique, une des dernières théories qui cherchent à unifier la physique quantique et la théorie de la gravitation est la théorie de la gravitation quantique en boucles. Elle utilise la théorie des nœuds afin d’étudier les trajectoires nouées des particules.

EN RÉSUMÉ

Apparue au cours du xixe siècle, la théorie des nœuds a trouvé son cadre dans la topologie algébrique. Un des outils les plus efficaces pour classer les nœuds est la notion d’invariant, même si beaucoup d’invariants ne sont pas facilement calculables et qu’on trouve encore des nœuds effectivement différents ayant le même invariant. De nombreux outils plus puissants ont vu le jour au cours des trente dernières années, et cette théorie trouve de nombreuses applications dans d’autres disciplines.