Découverte par hasard par le météorologue Lorenz, la théorie du chaos permet de décrire un certain nombre de systèmes qui évoluent dans le temps. Elle introduit la notion d’imprédictibilité dans des systèmes pourtant déterministes par le biais de la sensibilité aux conditions initiales.

LA SENSIBILITÉ AUX CONDITIONS INITIALES

Le premier scientifique à avoir observé un système chaotique est le météorologue Edward Lorenz. Chercheur au département de météorologie du Massachusetts Institute of Technology, Lorenz étudiait, en utilisant des modélisations informatiques de l’atmosphère terrestre et des océans, la corrélation entre trois facteurs météorologiques non linéaires : la température, la pression et la vitesse du vent. Un jour de 1961, alors qu’il souhaitait réexaminer une séquence de grande longueur, il démarra le calcul au milieu de la séquence en utilisant les chiffres obtenus dans le calcul précédent. Les deux systèmes obtenus étaient radicalement différents. En fait, il avait arrondi les chiffres (0,506 au lieu de 0,506127), et cet infime écart au départ lui donna cette grande et étrange différence dans les résultats. Il venait de mettre en évidence l’une des caractéristiques d’un système chaotique, la sensibilité aux conditions initiales (ce que l’on appellera par la suite l’« effet papillon »).

SYSTÈME DYNAMIQUE ET PHASES

Un système dynamique est un système qui évolue dans le temps. Un solide en mouvement est un système dynamique, un phénomène météorologique également. L’état du système dynamique est décrit par un nombre n de quantités qui dépendent du temps. Au lieu d’étudier séparé¬ ment ces n variables, on préfère représenter l’état du système par un point unique dans un espace à n dimensions : c’est l’espace des phases. Lorsque la variable d’évolution change de valeur, le point décrit une courbe dans l’espace des phases. On peut distinguer plusieurs types de systèmes dynamiques. Si le système est périodique, sa représentation sera un diagramme simple. Si le mouvement est aléatoire, en revanche, les points du système remplissent l’espace des phases, et aucune structure n’apparaît. Mais si le système est chaotique, en observant le système longtemps, on voit apparaître une structure fractale, appelée « attracteur étrange ». Avec la sensibilité aux conditions initiales, ce sont les deux signatures du chaos.

LA CROISSANCE DE L’INCERTITUDE

Un système dynamique est dit « déterministe » lorsqu’il est parfaitement prédictible. Si l’on connaît avec précision l’état de départ, on peut prédire avec précision l’état du système au bout d’un certain temps, fût-il très long. On peut s’attendre à ce qu’une petite imprécision sur l’état de départ n’entraîne qu’une petite incertitude sur l’état final du système. Or, il se trouve que pour beaucoup de systèmes (les systèmes chaotiques, donc) l’incertitude croît exponentiellement avec le temps (si l’erreur est multipliée par 2 au bout d’un temps T, elle le sera par plus de 1 milliard au bout de 30T). Si bien qu’une très petite imprécision entraîne une incertitude de prédiction inacceptable. La théorie du chaos étudie en détail comment une petite incertitude sur l’état initial d’un système qui évolue de manière déterministe dans le temps peut donner lieu à une incertitude des prédictions qui croît très rapidement avec le temps. C’est la « sensibilité aux conditions initiales ».

LES ATTRACTEURS ÉTRANGES

Lorenz entreprit de représenter graphiquement la solution de son système au moyen d’un ordinateur. Il vit alors apparaître sa deuxième découverte : les attracteurs. En effet, il traça la courbe d’évolution de son système météorologique avec deux jeux de valeurs initiales très proches, et comme il s’y attendait les trajectoires des deux courbes semblaient identiques au départ mais divergeaient de plus en plus. En revanche, ce à quoi Lorenz ne s’attendait pas, c’est que les deux courbes soient presque identiques. Elles ressemblaient aux ailes déployées d’un papillon. Dans un article de 1971, les physiciens D. Ruelle et F. Takens qualifièrent cette figure d’« attracteur étrange ». Les trajectoires ne se coupent jamais, et pourtant elles semblent évoluer au hasard, formant des sortes de boucles ni concentriques ni sur le même plan, et des surfaces dont les dimensions ne sont pas entières (et égales à 2 comme on aurait pu s’y attendre), mais fractales (c’est-à-dire non entières).

L’APPLICATION AU SYSTÈME SOLAIRE

Une des grandes applications de la théorie du chaos a été, à la fin du xxe siècle, de permettre de démontrer l’instabilité du Système solaire. En 1989, Jacques Laskar suivit l’ensemble du Système solaire sur 200 millions d’années. Il montra ainsi que le mouvement des planètes dites « intérieures » (Mercure, Vénus, Terre, Mars) était chaotique, avec un temps caractéristique de 10 millions d’années. Une imprécision de 1 centimètre sur la position de ces planètes devient alors, au bout de 200 millions d’années, une imprécision de 1 million de kilomètres. Pour différents points de départ possibles très proches, on peut alors reproduire l’expérience et calculer les trajectoires correspondantes. C’est justement ce que Laskar a fait en 1994. Ses conclusions sont que les orbites des grosses planètes extérieures (Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune) sont stables sur plusieurs millions d’années. Les mouvements de Mars et de la Terre sont eux chaotiques, mais ne se croisent jamais.

EN RÉSUMÉ

La découverte de la théorie du chaos a été une révolution scientifique, dans la mesure où des systèmes déterministes pouvaient se révéler profondément hiératiques et difficilement prévisibles. En effet, ces systèmes chaotiques ont une grande sensibilité aux conditions initiales (une petite imprécision dans l’état initial du système peut engendrer un état final totalement imprévisible). On peut toutefois fournir une représentation visuelle des trajectoires, sous la forme d’attracteurs étranges.