Les scientifiques détestent l’idée que deux théories puissent cohabiter sans arriver à s’unifier, à l’image de la relativité générale et de la mécanique quantique. Le physicien Brian Greene présente, dans L’Univers élégant, l’une des plus sérieuses candidates à cette unification, la théorie des cordes.

UNE THÉORIE ÉLÉGANTE

Paru en 1999 aux Etats-Unis et un an plus tard chez Robert Laffont en France, L’Univers élégant est une tentative de vulgarisation d’une des plus importantes théories de la fin du xxe siècle, la théorie des cordes. L’enjeu de cette théorie est tout simplement l’unification de la physique, véritable Graal de la physique théorique depuis le début du XXe siècle et la naissance conjointe de la relativité générale et de la mécanique quantique. Ecrit par le jeune physicien Brian Greene, seulement âgé de 36 ans à l’époque et spécialiste de la théorie des cordes, cet ouvrage est l’une des premières plongées dans l’univers déroutant de cette nouvelle physique. En moins de cinq cents pages, Greene arrive à présenter les principaux éléments de cette théorie extraordinairement difficile, puis les questions liées à sa vérification expérimentale et les enjeux de l’unification de la physique à travers la théorie M, cette dernière ayant pour objet de donner un cadre unique aux théories des supercordes.

LA QUESTION DE L’UNIFICATION

La physique moderne considère que notre Univers est gouverné par quatre forces fondamentales : la gravitation, la force électromagnétique et les deux forces d’interaction, faible et forte. S’il existe un modèle qui unifie trois de ces quatre forces, la gravitation, elle, reste un peu à part. En effet, elle est tellement faible qu’elle ne joue aucun rôle aux échelles atomique et nucléaire. Inversement, si elle est prépondérante à de plus grandes échelles, c’est d’une part car les objets macroscopiques sont électriquement neutres, et d’autre part car les forces d’interaction sont à courte portée. La question est donc de savoir s’il existe un modèle qui permettrait de réconcilier la gravitation avec les trois autres forces. D’abord parce que les physiciens n’aiment pas l’idée que deux théories puissent cohabiter sans contact. Mais aussi car ils ont montré le rôle crucial de la mécanique quantique au moment du Big Bang, phénomène déterminant pour la structure de l’Univers à grande échelle.

LA THÉORIE DES CORDES

Aujourd’hui, la théorie des cordes, via la théorie M, semble être une candidate sérieuse, aux côtés de la théorie de la gravitation quantique à boucles, dans cette quête de l’unification. Ce faisant, elle bouleverse notre conception de la matière, de l’espace et du temps. C’est l’histoire pleine de rebondissements de cette révolution en marche – où les particules élémentaires s’avèrent semblables à d’infinis bouts de ficelle, où l’espace-temps se déchire, se répare, se replie en dix dimensions invisibles, où le Big Bang et les trous noirs prennent des formes inattendues – que nous raconte ici l’un de ses acteurs. Dans cette conception, les particules de la physique sont conçues comme les différents modes d’excitation des unités fondamentales, les cordes. Un trait particulier de la théorie des cordes est le fait qu’elle requiert un espace-temps à au moins dix dimensions : nos trois dimensions spatiales usuelles, le temps et six dimensions compactes, appelées dimensions de Calabi-Yau.

VÉRIFICATION EXPÉRIMENTALE

La théorie des cordes a obtenu de premiers résultats partiels prometteurs. Dans le cadre des trous noirs, elle donne la possibilité de reproduire la formule de Bekens-tein et Hawking. Elle possède également une richesse mathématique notable. Elle a permis, par exemple, de découvrir la symétrie miroir en géométrie. Jusqu’à preuve du contraire, pour qu’une théorie scientifique soit validée, il est nécessaire qu’elle obtienne des confirmations expérimentales. On attend ainsi aujourd’hui de telles confirmations de la théorie des cordes. Mais est-ce possible? Peut-on tester expérimentalement cette physique en laboratoire sans avoir accès à l’échelle de Planck? Personne n’a encore vu les six dimensions supplémentaires, ni la supersymétrie, qui doit être spontanément brisée. Des pistes sérieuses de confirmation indirecte ont déjà été explorées. Ce sont en fait des conséquences de la théorie des cordes qui tentent d’être vérifiées, notamment une extension possible du modèle standard, la supersymétrie.

DU LIVRE À LA SÉRIE TÉLÉVISÉE

En 2004, le livre de Brian Greene devient une minisérie documentaire, qui sera diffusée en 2006 sur Artc. Le physicien participera au projet et deviendra même le narrateur des différents épisodes. La série est, de manière un peu provocatrice, sous-titrée Ce qu ’Einstein ne savait pas encore. En effet, au-delà de l’état des connaissances à l’époque où Einstein officiait, ce sous-titre fait un clin d’œil au fait qu’il ne croyait pas beaucoup à la postérité de la mécanique quantique, en tous les cas dans la place qu’elle accorde au hasard. Cette série donnera au physicien une place de choix au sein des vulgarisateurs scientifiques, le mettant sur un pied d’égalité avec Stephen Hawking ou Hubert Reeves en France. Son second livre, La Magie du Cosmos, paru en 2004, aura toutefois moins d’impact, car il se veut par trop globalisant sur l’ensemble de l’Univers, de l’espace et de temps. Son coup de maître restera donc L’Univers élégant, remarquable exposé sur la théorie des cordes et la théorie M.