Puisque notre niveau technologique actuel ne nous permet de faire collisionner les particules avec assez de vitesse pour recréer les conditions de l’univers primordial, les physiciens tentent d’accéder au réel par les longs et sinueux chemins de la théorie.

BIG BANG : UNE COLLISION AVEC UN AUTRE UNIVERS ?
La théorie des supercordes, dont les premières bases théoriques ont été posées dans les années 1 970 par Gabriele Veneziano, Joël Scherk, Bernard Julia, John Schwarz et Michael Green, part de l’hypothèse que les particules élémentaires ne sont pas des objets ponctuels matériels de taille nulle (des points), mais des cordes vibrantes pouvant être ouvertes (avec deux extrémités différentes) ou des boucles fermées (avec deux extrémités confondues), dont la cinématique est régie par la relativité restreinte tandis que la dynamique est régie par la physique quantique. La théorie de la relativité générale ne figure pas dans les prémisses de la théorie, ce qui signifie que celle-ci « commence » sans prendre acte de l’existence de la gravitation. Cette hypothèse n’invoque pas la gravitation et pourtant, à une certaine échelle de distance, elle fabrique les équations d’Einstein pour la gravitation. La théorie des supercordes prédit donc la gravitation comme une force nécessaire – une congruence qui a mis les scientifiques sur la voie d’une « théorie du tout » encore bancale. « Telle une fée, la théorie de la relativité générale jaillit de la nécessité de l’existence d’une particule ayant toutes les propriétés du graviton, censé être le médiateur de la gravitation. Ce graviton apparait dans les calculs comme un état particulier de vibration d’une corde fermée, donc d’une boucle (au même titre qu’une vibration particulière d’une corde ouverte correspond exactement au photon, qui est la particule médiatrice de l’interaction électromagnétique). On peut dire de la théorie des supercordes qu’elle englobe la théorie quantique de Télectromagné- tisme qu on appelle l ‘électrodynamique quantique. Partant d’un cadre formel régi par la physique quantique et la théorie de la relativité restreinte qui n’intègrent ni l’une ni l’autre la gravitation, on est conduit par les principes mêmes de la théorie des supercordes aux équations de la relativité générale (qui elle décrit la gravitation), ce qui permet de dire que cette nouvelle théorie est une authentique théorie quantique de la gravitation » développe le physicien Étienne Klein. La théorie remplace toutes les particules que nous connaissons par un unique objet étendu, la supercorde, qui vibre dans un espace-temps doté de 6, 7 ou 22 dimensions de plus que l’espace-temps ordinaire. Ces dimensions supplémentaires seraient repliées sur elles-mêmes à une très petite échelle, de sorte qu’elles nous seraient imperceptibles. Les différents modes de vibration de la supercorde correspondent aux différentes particules possibles (un mode correspond à l’électron, un autre au neutrino, un troisième au quark…). Dans les années 1 970, il a été démontré qu’on ne pouvait pas espérer unifier la gravitation et les trois autres forces fondamentales dans un espace-temps à quatre dimensions. C’est pourquoi on utilise aujourd’hui des modèles admettant bien plus de dimensions. On en vient ainsi à penser aujourd’hui que l’espace-temps n’a peut-être pas quatre dimensions (trois dans l’espace plus le temps), mais onze (dix dans l’espace plus le temps) ! Cette théorie est intéressante, mais impossible à tester en laboratoire. Depuis 30 ans, plusieurs théories des supercordes ont été développées. En 1994, on a remis de l’ordre en considérant que chacune des versions proposées était un cas particulier d’une théorie plus générale, baptisée « Théorie M ». Cette unification a été rendue possible par l’existence de symétries appelées « dualités », qui relient les différentes théories les unes aux autres. Précisons enfin que la théorie des supercordes peut imaginer des tailles infinies de dimensions supplémentaires d’espace-temps, c’est le modèle de la cosmologie branaire. L’idée est que notre univers à quatre dimensions est un drapeau (p-brane) qui flotte dans un espace-temps à dix dimensions et sur lequel les particules de matière (électro, quarks, neutrmos…), correspondant à des cordes ouvertes, condamnées à vivre sans être autorisés à se déplacer à l’extérieur de la brane correspondant à notre univers. A contrario, les cordes fermées, tel le graviton, peuvent accéder aux dimensions supplémentaires, c’est- à-dire à l’espace-temps complet. Pour la cosmologie branaire, notre univers (notre brane) est entré en collision il y a 13,7 milliards d’années avec un autre univers (une autre brane) ayant entraîné du grabuge : ce qu’on pourrait considérer comme le fameux « Big Bang »… LA GRAVITATION QUANTIQUE A BOUCLES
Dans les années 70, de nombreuses méthodes d’unification de la physique quantique et de la relativité générale ont été proposées. Si la première utilise un espace-temps rigide, la seconde un espace-temps souple, les deux partent du principe qu’il est continu, donc lisse, sans discontinuités. Mais comme les tentatives d’unification échouaient, on a pensé que « rendre quantique » la relativité générale obligeait à prendre des postulats radicalement nouveaux : dimensions supplémentaires d’espace-temps, nouvelles particules, nouvelles symétries (supersymétrie), nouvelles structures mathématiques (théorie des twisters de Penrose, géométries non-commutatives d’Alain Connes, la supergravité…). D’autres, comme Abhay Ashtekar, Ted Jacobson, Carlo Rovelli et Lee Smolin, ont fondé la théorie de la gravité quantique à boucles, en remettant en cause l’hypothèse de continuité de l’espace-temps. Ils ont toutefois conservé
deux des principes clefs de la théorie d’Einstein concernant la structure de l’espace-temps : 1) « L’indépendance de fond » ; l’espace-temps lui-même doit être considéré non pas comme une arène fixée, indépendante de ce qui s’y joue, mais comme un authentique objet physique dont la structure et la géométrie dépendent des effets de la matière et de l’énergie. 2) « L’invariance par difféomorphisme » ; concernant les coordonnées d’un événement dans l’espace-temps, on doit pouvoir utiliser n’importe quel système de coordonnées (ou référentiel) dans l’espace-temps sans que le choix effectué change la forme des équations de la théorie. Un point de l’espace-temps ne doit être défini que par les événements physiques qui s’y déroulent, et non par un jeu particulier de coordonnées. En somme, l’invariance par difféomorphisme suggère de considérer que le champ gravitationnel est plus essentiel que l’espace-temps lui-même. « En combinant ces deux principes, les quatre chercheurs ont élaboré un langage mathématique pour déterminer si l’espace-temps est lisse et continu (comme le supposent la physique quantique et la relativité générale), ou discontinu et granulaire (« discret » comme disent les physiciens) » commente Étienne Klein. Ils ont conclu que l’espace-temps, ressemblant à un morceau d’étoffe tissé de fibres distinctes, séparées les unes des autres, est granulaire. « C’est cette discrétisation de l’espace qui constitue la base de la gravité quantique à boucles, ainsi appelée car elle débouche sur l’idée que l’espace-temps serait structuré en boucles minuscules aux très petites échelles » ajoute le physicien. La théorie de la gravité quantique à boucles n’est pas une théorie de l’unification des quatre forces, mais une théorie quantique (donc à l’échelle microscopique) de la gravitation. LA THÉORIE DU VIDE QUANTIQUE
Que nous montre la physique quantique ? Que le vide n’est pas vide ! Il contient de l’énergie et est gorgé par de la matière « en état de veilleuse », via des sortes de particules « virtuelles », présentes mais pas encore réellement existantes. Pour exister, il leur faut de l’énergie. Mais si le vide quantique contient en puissance toute la matière, s’il est rempli de particules susceptibles de devenir réelles, qu’est-ce qui interdit d’imaginer qu’il a pu spontanément engendrer l’univers ? L’idée est difficile à défendre, car elle suppose l’apport d’une énergie extérieure. Or, par définition, l’univers n’a pas d’extériorité. Pourtant, certains physiciens comme Edgard Gunzig ont déjoué cette impossibilité en élaborant des scénarios dans lesquels le vide quantique joue le rôle de matrice de l’univers et la gravitation celui de forceps apportant l’énergie. Leur travail a consisté à réaliser une sorte de greffe de la relativité générale sur la physique quantique : ils décrivent d’abord le contenu matériel de l’univers en utilisant le formalisme de la physique quantique, puis supposent que les particules qui constituent ce contenu matériel subissent la force de gravitation. Quel est le principe ? Le vide quantique contient des particules virtuelles. Sous l’effet de l’expansion de l’espace extrêmement rapide (inflation), ces particules gagnent en énergie, ce qui leur permet de se matérialiser, donc de venir réelles. L’expansion de l’univers joue donc le rôle de réservoir d’énergie interne : elle permet au vide quantique de créer de la matière qui jaillit hors de lui. L’univers n’a donc pas d’extériorité et c’est sa propre expansion qui lui apporte de l’énergie, comme si celle-ci venait de l’extérieur. Au cours de l’expansion de l’univers, l’énergie du vide demeure constante, puisqu’elle ne peut pas diminuer (énergie minimale que l’univers peut avoir), tandis que celle du contenu matériel décroît progressivement du fait de l’expansion qui le dilue toujours plus. À partir d’un certain moment, l’énergie qui domine au sein de l’univers devient celle du vide. L’expansion se poursuivant, l’état de l’univers finit même par ne plus se distinguer notablement du vide quantique, c’est-à-dire de son état initial. Il peut alors profiter d’une autre fluctuation de ce vide quantique pour entamer une nouvelle aventure cosmologique analogue à celle qui l’a précédée : il se réplique ainsi, inlassablement, sans jamais traverser de singularité «LA THÉORIE DES SUPERCORDES PEUT IMAGINER DES TAILLES INFINIES DE DIMENSIONS SUPPLÉMENTAIRES D’ESPACE-TEMPS : C’EST LE MODÈLE DE LA COSMOLOGIE BRANAIRE »
saviez-vous ?
* La théorie des supercordes engendre notamment la « théorie quantique des champs », qui résulte du mariage entre la physique quantique et la relativité restreinte et constitue le formalisme à la base du modèle standard de la physique des particules. Ce mariage est rendu possible du fait que les deux théories partagent un univers théorique commun.
Aller plus loin
POPPER ET LE PRINCIPE DE REFUTABILITÉ

Tous ces formalismes quantiques constituent-ils des véritables théories scientifiques ? Autrement dit, peut-on les tester où sont-elles condamnées à demeurer de l’ordre de la conjecture la plus incertaine ? La question se pose, au moins pour le profane qui aimerait connaître dans quelle mesure les théories qu’on lui présente sont proches ou non de la vérité. Le philosophe des sciences autrichien Karl Popper a développé le concept de réf utabilité » pour différencier les théories « scientifiques » des théories pseudo-scientifiques ». Pour Popper, une théorie scientifique se distingue en ce que de l’ensemble des propositions qui la constituent, on peut déduire au moins une prédiction qui, si elle n’était pas vérifiée expérimentalement, la réfuterait. En résumé, la théorie doit être non pas « réfutée » – auquel cas elle ne serait de toute façon plus valable -, mais « réfutable » ! Si une théorie n’est même pas « réfutable ». c’est quelle n’est pas scientifique. Elle est en général métaphysique et dépasse alors le cadre de la science. C’est d’ailleurs la critique qui est parfois adressée à la théorie du multivers, dont le niveau d’abstraction la fait tendre vers la métaphysique.
«SI LE VIDE QUANTIQUE CONTIENT El\l PUISSANCE TOUTE LA MATIÈRE, S’IL EST REMPLI DE PARTICULES SUSCEPTIBLES DE DEVENIR RÉELLES, QU’EST-CE QUI INTERDIT D’IMAGINER QU’IL A PU SPONTANÉMENT ENGENDRER L’UNIVERS ? »