La théorie synthétique de l’évolution, formalisée par plusieurs biologistes dans les années 1930 et 1940, a permis d’inscrire la théorie de la descendance avec modification de Darwin dans un cadre moderne intégrant la théorie de l’hérédité de Mendel et les travaux de la génétique des populations.

LA SÉLECTION NATURELLE

À la mort de Darwin, en 1882, si le transformisme (l’évolution des espèces) est un fait accepté de tous les biologistes, certaines de ses idées sont encore loin d’être admises, à commencer par le mécanisme de la sélection naturelle. Il va falloir longtemps avant que le darwinisme soit pleinement accepté, ce qui va être formalisé au cours des années 1930 et 1940 par l’élaboration d’une synthèse, baptisée « théorie synthétique » en 1942, et connue aussi sous le nom de néodarwinisme ou de synthèse néodarwinienne. Cinq biologistes participèrent à cette nouvelle vision de l’évolution qui s’inscrivait dans la continuité des idées de Darwin : le généticien Theodosius Dobzhansky (1900-1975), le zoologiste Ernst Mayr (1904-2005), le biologiste Julian Huxley (1887-1975), le paléontologue George Gaylor Simpson (1902-1984) et le botaniste George Ledyard Stebbins (1906-2000). Mais il avait fallu attendre 70ans après la parution de L’origine des espèces pour aboutir à un tel consensus…

BIOMÉTRIE ET HÉRÉDITÉ

La sélection naturelle était plausible et fournissait un cadre explicatif fécond, mais eut du mal à convaincre, car Charles Darwin manquait d’arguments concrets. Comment prouver que la sélection naturelle opérait réellement? Plusieurs approches apportèrent crédit à la théorie de Darwin. Dès 1861, Henry Walter Bâtes (1825-1892), qui étudiait le mimétisme chez les insectes, put fournir de premiers exemples expérimentaux de sélection naturelle. Grâce aux statistiques, on put aussi chercher à mesurer les effets de la sélection naturelle sur plusieurs générations d’organismes. En 1898, Walter Frank Weldon (1860-1906) et Karl Pearson (1857-1936) mirent ainsi la sélection naturelle à l’épreuve de la biométrie en mesurant ses effets sur des crustacés. De son côté, Francis Galton (1822-1911), cousin de Darwin, travailla à découvrir les lois de l’hérédité. Mais tous, comme Darwin en son temps, ne s’intéressaient qu’aux conséquences de l’hérédité, faute d’une théorie valable sur sa nature.

LA NAISSANCE DE LA GÉNÉTIQUE

Darwin et ses contemporains ignoraient en effet quels étaient le support et les lois de l’hérédité, donc la cause même des variations au sein des populations, qui constituaient la clé de voûte du darwinisme. En 1900, les lois de Mendel furent redécouvertes indépendamment et simultanément par trois botanistes, le Hollandais Hugo de Vries (1848-1935), l’Allemand Cari Correns (1864-1933) et l’Autrichien Erich von Tschermak-Seysenegg (1871-1962), puis étendues au règne animal avec William Bateson (1861-1926) et Lucien Cuénot (1866-1951). Mais Hugo de Vries fit une autre découverte. Il s’aperçut que les variétés sauvages d’herbe aux ânes sur lesquelles il travaillait présentaient des variations brusques, engendrant par« saut » discontinu de nouvelles espèces. Il nomma le phénomène « mutation » et l’opposa à la variabilité limitée et à l’évolution graduelle postulées par Darwin. La génétique était née, mais elle allait, dans un premier temps, à l’encontre de la théorie de Darwin !

ALLÈLES ET LOIS DE MENDEL

C’est la naissance de la génétique des populations, dans les années 1920 et 1930, qui va réconcilier généticiens mendéliens et partisans de la sélection naturelle et qui va permettre la formalisation de la théorie synthétique. La génétique des populations consiste à étudier l’évolution de la distribution des différentes versions d’un gène (les allèles). C’est une application des principes de la génétique mendélienne à l’échelle des populations. La discipline est née des travaux du généticien britannique J. B. S. Haldane (1892- 1964), du biologiste et statisticien Ronald Fisher (1890- 1962) et du généticien américain Sewall Wright (1889- 1988). À partir des lois de Mendel, ils élaborent des modèles d’évolution et démontrent mathématiquement qu’un gène peut se fixer rapidement dans une population même s’il ne confère qu’un petit avantage sélectif. Les expériences de Georges Teissier (1900- 1972) et Philippe L’Héritier (1906-1990) sur la drosophile permettront de vérifier leurs prédictions dès 1933.

UN CADRE CONCEPTUEL MODERNE

La théorie synthétique de Dobzhansky, Mayr, Huxley, Simpson et Stebbins est un consensus qui va bien au-delà de la réconciliation entre généticiens et naturalistes darwiniens. Elle réunit en un ensemble cohérent les avancées de la génétique des populations, de la zoologie, de la botanique et de la paléontologie. Elle peut être résumée en quelques principes: l’hérédité est exclusivement génétique; la variabilité importante au sein de l’espèce permet l’apparition de nouvelles espèces; des populations isolées peuvent donner naissance à des espèces distinctes; l’évolution s’opère par modification graduelle des populations, sous l’effet de la sélection naturelle; les changements importants (macroévolution) procèdent de l’accumulation sur de longues périodes de temps de changements graduels (microévolution). Cette synthèse permit d’inscrire la théorie darwinienne dans un cadre conceptuel moderne tout en réaffirmant que l’évolution était un processus ne poursuivant aucune finalité.

À RETENIR

La théorie darwinienne de l’évolution au moyen de la sélection naturelle a mis du temps à être pleinement acceptée par les biologistes. C’est la redécouverte des lois de l’hérédité de Mendel puis ta naissance de la génétique des populations qui ont permis d’aboutir à une vaste synthèse pluridisciplinaire, formalisée par Dobzhansky, Mayr, Huxley, Simpson et Stebbins, et baptisée théorie synthétique en 1942. Cette synthèse néodarwienne réaffirmait les principales idées de Darwin tout en les insérant dans un cadre conceptuel renouvelé.