L’algorithme du monde

En 1991, le physicien théoricien et mathématicien anglais John D. Barrow livre dans une série de conférences sa conception du rapport entre les mathématiques et le monde matériel. S’appuyant sur les conceptions avancées parses prédécesseurs, il en vient à considérer l’Univers comme un algorithme.

L’INCROYABLE EFFICACITÉ DES MATHÉMATIQUES

La question du lien entre les mathématiques et la nature de monde est une question aussi ancienne que la pensée elle-même, dans la mesure oit elle hante déjà la pensée platonicienne, voire antérieure, au vu des fragments qu’il nous reste aujourd’hui.
Aujourd’hui, les scientifiques, principalement les physiciens et les biologistes, ont recours aux mathématiques pour décrire le monde et en prédire son évolution. Et le moins que l’on puisse dire est que cela fonctionne plutôt bien. Beaucoup de théoriciens se sont étonnés de cette « incroyable efficacité des mathématiques », discipline issue de la pensée humaine indépendamment de toute expérience, à décrire et expliquer le monde matériel. Pour expliquer cette efficacité, il faut revenir à la nature même des mathématiques.
La force du livre de John D. Barrow est de présenter synthétiquement les différentes hypothèses concernant cette nature, lui permettant finalement de présenter sa propre thèse, plutôt surprenante et fort intrigante.

UN CYCLE DE CONFÉRENCES

John D. Barrow, physicien théoricien, cosmologiste et mathématicien, est l’un de ces scientifiques qui cherchent inlassablement à vulgariser les questions difficiles que posent ces disciplines ; il a donc écrit de nombreux livres à destination du grand public. Ce petit livre, intitulé Pourquoi le monde est-il mathématique ? est constitué de la retranscription d’un cycle de conférences données par Barrow en 1991 à l’université de Milan, dans le cadre du cours de philosophie de la science, et porte plus spécifiquement sur la question de la signification des mathématiques. Le schéma de ce cycle est assez simple : le monde est mathématique, les mathématiques ne sont pas une activité aussi « naturelle » qu’on pourrait le croire, les différentes conceptions du rapport entre les mathématiques et le monde matériel et, finalement, le modèle de Barrow quant à ce rapport. En une centaine de pages, Barrow synthétise la question et y apporte une réponse novatrice, devenue au fil des années plutôt crédible.

EMPIRISME OU FORMALISME

C’est en étudiant la notion de nombre que Barrow affirme que les mathématiques ne sont pas une activité aussi « naturelle » qu’on pourrait le croire. La question est alors celle de leur nature même. Suivant le fil de l’histoire de la philosophie des mathématiques, Barrow expose successivement l’empirisme, le formalisme, le réalisme et l’intuitionnisme. L’empirisme soutient que les mathématiques sont de purs produits de l’esprit et qu’il n’y a aucune raison de penser que le monde est mathématique. Néanmoins, si les mathématiques étaient une création de l’esprit humain, on devrait distinguer des particularités culturelles. Or, le théorème de Pytha-gore, par exemple, est universellement vrai. Refusant ce genre de débat, les formalistes conçoivent les mathématiques comme une manipulation de symboles sans signification. Mais, après Gôdel, il s’avère nécessaire de sortir du cadre formel des axiomes et des règles. Les mathématiques ne peuvent plus être considérées comme un système clos.

RÉALISME ET INTUITIONNISME

Si la vérité mathématique est au-delà des axiomes et des règles, il faut peut-être considérer que les entités mathématiques existent indépendamment de nos efforts pour les définir. C’est le réalisme. Que le monde matériel ne soit que l’incarnation du monde mathématique permet bien d’expliquer l’incroyable efficacité des mathématiques. Selon les intuitionnistes, les mathématiques doivent se construire à partir de notre intuition. D’où le rejet des entités telles que les ensembles infinis. À cette conception des mathématiques, John D. Barrow conteste qu’il existe une intuition universelle des nombres naturels et se demande s’il n’est pas possible d’avoir une intuition de l’infini. Il remarque aussi que selon cette conception, on n’explique pas comment des concepts non validés par la démarche des intuitionnistes peuvent être utiles dans l’étude du monde physique. Ces critiques amènent alors John D. Barrow à présenter sa propre conception, construite sur le modèle de l’ordinateur.

UN ALGORITHME À DÉCODER

Dans la dernière conférence, John D. Barrow invite le lecteur à appréhender les lois de la nature, non pas à travers les notions d’invariance et de symétrie, mais plutôt à travers celles de calcul et d’algorithme. Selon cette conception, l’Univers n’obéirait pas à un schéma géométrique qu’il s’agirait de décrire, mais évoluerait comme un programme d’ordinateur qu’il nous faudrait décoder. John D. Barrow est alors conduit à nous présenter tout naturellement la notion de calculabilité (en référence à Turing), ainsi que celle de hasard des nombres (référence à Chaitin). Conception pour le moins audacieuse, que peu de théoriciens vont défendre depuis. Toutefois, elle reste intéressante, car elle fait écho à la manière dont le monde est en train de se transformer sous la poussée des algorithmes, derrière lesquels se cache un vaste monde mathématique. On peut alors s’interroger sur la possibilité d’une sorte de réciprocité entre le monde en tant qu’algorithme et les algorithmes en tant que monde.

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