Découverte par hasard en météorologie par Edward Lorenz, l’existence de systèmes dynamiques « chaotiques », sensibles aux conditions initiales et non prédictibles à long terme, a donné naissance à la métaphore célèbre de l’effet papillon et à une théorie féconde dans tous les champs de la science.
LOIS DÉTERMINISTES OU LOIS ALÉATOIRES ?
Les systèmes dynamiques sont des systèmes physiques qui évoluent. La trajectoire d’un objet en mouvement ou le nombre d’individus dans une population dans le temps, par exemple, sont des systèmes dynamiques auxquels peuvent s’intéresser respectivement l’astronomie et la biologie. Ces systèmes dynamiques peuvent être aléatoires, c’est-à-dire régis par le hasard (on parle aussi de systèmes stochastiques) ou au contraire déterministes, c’est-à-dire régis par des lois mathématiques connues qui permettent de prévoir leur évolution dans le temps. En 1812, le mathématicien, astronome et physicien français Pierre-Simon de Laplace (1 749-1827) postulait que le monde obéissait à une prédictibilité déterministe. La théorie du chaos a depuis montré qu’il existait des systèmes intermédiaires au comportement infiniment complexe, semblant, sous un désordre apparent, obéir à la fois à des lois déterministes et à des lois aléatoires, rendant toute prévision sur leur évolution à long terme impossible.
LE CHAOS DANS LA MÉTÉO
Edward Lorenz (1917-2008) travaille comme météorologue au Massachusetts Institute of Technology lorsqu’il découvre par hasard, en 1961, le caractère chaotique de la météorologie. Lorenz étudie le couplage de l’atmosphère avec l’océan, un système physique décrit par un système d’équations beaucoup trop compliqué à résoudre avec l’informatique balbutiante de l’époque. Il a donc simplifié le modèle pour aboutir à un système dynamique possédant seulement trois variables. Un jour, pour accélérer la manœuvre, il entre des données à trois chiffres après la virgule au lieu de six, s’attendant à ce qu’une faible variation des variables d’entrée ait une incidence également faible sur le résultat final, compte tenu de la complexité des calculs. Il obtient pourtant des résultats totalement différents… et comprend qu’il vient de découvrir qu’une dynamique très complexe peut apparaître dans un système formellement très simple, à la suite d’une infime modification des conditions initiales.
PRÉDICTIBILITÉ ET EFFET PAPILLON
En 1972, Edward Lorenz donne une conférence scientifique intitulée: «Prédictibilité: le battement d’ailes d’un papillon au Brésil provoque-t-il une tornade au Texas ?» Cette métaphore est devenue extrêmement célèbre sous le nom d’« effet papillon ». Elle résume un phénomène fondamental entrevu par quelques mathématiciens avant Lorenz: la sensibilité aux conditions initiales du système. Toute variation, aussi imperceptible soit-elle, aboutit à une situation complètement différente de celle qui pouvait être calculée, ce qui explique que le comportement du système ne puisse être prédit sur le long terme (ou sa condition initiale déduite). L’effet papillon a permis de populariser la théorie du chaos, mais a souvent été mal interprété, malgré l’avertissement de Lorenz: le battement d’ailes n’est pas responsable de la tornade – si cela était le cas, tout battement d’ailes de n’importe quel papillon produirait les mêmes effets et pourrait aussi empêcher la formation d’une tornade.
LES ATTRACTEURS ÉTRANGES
Lorenz a également effectué une seconde découverte en représentant graphiquement l’évolution chaotique de son système météorologique: un « attracteur étrange ». Un attracteur est un ensemble vers lequel un système dynamique évolue de façon irréversible. Un point fixe, par exemple, est un attracteur qui caractérise simplement un système évoluant vers un état stationnaire, tel qu’un pendule. Le cercle limite caractérise lui un système atteignant un état répétitif. L’attracteur de Lorenz décrivant un système chaotique est bien différent. Les points représentant l’état du système à un instant t décrivent des trajectoires qui ne se coupent jamais (ce qui montre qu’elles n’obéissent pas au hasard), mais qui forment des sortes de boucles ni tout à fait concentriques ni tout à fait sur le même plan, finissant invariablement par former des figures en forme d’aile de papillon bien reconnaissables. Cette attraction des trajectoires autour d’un motif caractérise un système chaotique.
UNE UTILISATION MULTIPLE
Lorenz n’est pas l’auteur de l’expression « théorie du chaos ». Le nom fut trouvé par le mathématicien Yorke, en 1975. Mais son modèle météorologique a permis de comprendre qu’un système pouvait ne jamais se répéter, présenter une dépendance sensible aux conditions initiales, et n’en être pas moins ordonné et caractérisé par un déterminisme imprévisible: même un modèle chaotique parfait débouche sur des résultats imprévisibles. L’étude du chaos a naturellement trouvé de nombreuses applications en mathématiques et en physique (thermodynamique, dynamique des fluides), mais elle a aussi essaimé dans d’autres champs: Ses outils ont été utilisés, par exemple, dans l’étude des systèmes sociaux ou politiques. En économie, des recherches ont aussi mis à profit la théorie du chaos pour l’analyse des cycles économiques, des marchés ou de la rationalité économique. En biologie, la théorie permet d’expliquer les variations des populations animales ou même l’activité électrique du cerveau !
À RETENIR
Alors qu’il travaillait sur un modèle météorologique simplifié, Edward Lorenz (1917-2008) découvrit par hasard qu’un système déterministe simple pouvait engendrer un résultat imprédictible en raison de sa sensibilité aux variations des conditions initiales, ce qui pouvait être représenté graphiquement par un « attracteur étrange ». Popularisée par la métaphore de l’effet papillon, la théorie du chaos a montré qu’il existait des systèmes dynamiques à la fois aléatoires et déterministes et a essaimé dans de nombreuses disciplines scientifiques.