LE NOMBRE

Apparu dans les travaux de John Napier sur les logarithmes, le nombre e a acquis au fil des années une place prédominante au sein des mathématiques. Retrouvé par Bernoulli via les intérêts composés puis disséqué par Euler, le nombre e devint rapidement une mine de propriétés mathématiques.
UNE HISTOIRE DE LOGARITHMES
Au début du xviie siècle, le mathématicien écossais John Napier cherche une solution pour simplifier les calculs compliqués qui peuvent apparaître en astronomie, dans les problèmes liés à la navigation ou au commerce. Les outils disponibles à l’époque ne suffisent parfois pas à résoudre ces calculs. Napier va donc inventer un nouvel outil qui n’a qu’un but : permettre de résoudre des calculs difficiles tout en s’effaçant à la fin. C’est pourquoi certains scientifiques de l’époque leur donneront le surnom de nombres artificiels. Ce nouvel outil, le logarithme, est multiple car il dépend de la base dans lequel on le définit. Ainsi, le logarithme en base 10 (ou logarithme décimal) est défini par la relation : si 10x = y alors logly) = x. Ce qui permet de simplifier notablement les calculs est dû à une propriété importante des logarithmes, à savoir log(xy) = log(x) + log(y). Un logarithme particulier nous intéresse ici, c’est le logarithme népérien, dont la base est justement le nombre e.
UN NOMBRE TRANSCENDANT
Le nombre e est un nombre aux multiples propriétés. Tout d’abord, il est irrationnel, c’est-à-dire qu’il s’écrit avec une infinité de décimales sans organisation logique, ou encore qu’on ne peut l’écrire comme quotient de deux nombres entiers. Ses premières décimales sont e = 2,718281 828459045235. À l’ins¬ tar du nombre n, les records se succèdent pour le plus grand nombre de décimales. Le dernier en date remonte à août 2016 et compte pas moins de 5×1 012 décimales. Il existe plusieurs démonstrations de l’irrationalité de e, toutes assez difficiles. On peut citer celle qu’utilisa Euler lui-même en voulant fournir une approximation du nombre, la méthode des fractions continues. Ensuite, le nombre e est transcendant. On dit qu’un nombre est transcendant s’il n’est solution d’aucune équation algébrique à coefficients entiers et qu’il est algébrique sinon. Pour démon¬ trer la transcendance, on utilise un raisonnement par l’absurde, c’est-à-dire que l’on suppose e algébrique et on arrive à une contradiction. INTÉRÊTS COMPOSÉS
Pendant de nombreuses années, le nombre e resta marginal et fut peu pris en considération par les mathématiciens. Une sorte de curiosité sans véritables conséquences. Et puis arrivèrent les travaux de Jacques Bernoulli. Quelques années après les travaux de Napier, Bernoulli, s’intéressant à un tout autre domaine des mathématiques, va fournir une nouvelle définition du nombre e. Le calcul des intérêts sur un prêt est quelque chose de connu à l’époque de Bernoulli, mais il va s’intéresser à la notion d’intérêts composés. L’idée initiale de Bernoulli est que si l’on ajoute le plus fréquemment possible les intérêts accumulés au montant initial, le gain augmente. Il se trompait. La suite modélisant le principe des intérêts composés possède en réalité une limite (en faisant tendre les intervalles de temps de calcul vers zéro) et cette limite est justement le nombre e. Bernoulli profita de l’occasion pour construire ses très élégantes spirales logarithmiques en utili¬ sant le nombre e.
eCOMME EULER
Ce sera finalement Euler, après Napier et Bernoulli, qui, au milieu du XVIIIe siècle, achèvera l’étude rigoureuse du nombre e. Euler est considéré comme l’un des plus grands mathémati¬ ciens de l’histoire des mathématiques et lorsqu’il s’intéresse à une question mathématique, on ne peut douter que les choses avancent. Son étude rigoureuse du nombre e fit dire à certains auteurs que la lettre « e » fut choisie pour ce nombre en l’honneur d’Euler. D’autres estiment que c’est pour rappe¬ ler son lien avec la fonction exponentielle, inverse de la fonction logarithme, telle que exp(1) = e. Ainsi, Euler commence par chercher de nouvelles définitions du nombre e. La première qu’il énonce est le développement en série de e en utilisant la notation factorielle (le factoriel de n est la multi¬ plication de tous les entiers de 1 à n). Cela permet à Euler de donner une approximation très juste de e. Il utilisera aussi le développement en fractions continues permettant de prouver l’irrationalité de e.
IDENTITE D’EULER
Les travaux d’Euler autour du nombre e vont aboutir à ce que beaucoup considèrent comme la plus belle des formules mathématiques, l’identité d’Euler. Richard Feynman, l’un des plus grands scientifiques du xxe siècle, dira qu’elle est « la formule la plus remarquable au monde ». Son expression mathématique est : e’n +1=0. Cette formule, d’une simpli¬ cité assez stupéfiante, contiendrait en effet tous les grands domaines des mathématiques en utilisanttoutes les constantes fondamentales des mathématiques. Le nombre e représente¬ rait le champ de l’analyse, le nombre imaginaire i l’algèbre, le nombre n la géométrie, le nombre 1 l’arithmétique et le nombre 0 symboliserait les mathématiques en soi. Ce qui est certain, c’est que cette formule illustre à merveille l’héritage immense d’Euler. C’est lui en effet qui définit la fonction exponentielle et le nombre e, qui introduit la notation « n » et « i » pour le nombre imaginaire dont le carré vaut -1. Cette identité est finalement Euler lui-même.
EN RÉSUMÉ
C’est en voulant simplifier les calculs trigonométriques complexes de l’astronomie que le mathématicien John Napier développera les logarithmes, dont le nombre e est l’un des éléments. Retrouvé quelques années plus tard pour le calcul des intérêts composés par Bernoulli, puis étudié rigoureusement par Euler, le nombre e acquiert très vite une place de choix dans les mathématiques, en tant que constante fondamentale, à l’instar du nombre n. L’identité d’Euler énoncera une relation intime entre les différentes constantes fondamentales.

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