En 1927, le physicien allemand Werner Heisenberg énonçait que l’on ne pouvait pas déterminer simultanément avec précision la position et la vitesse d’une particule. Un principe d’indétermination inhérent à la nature profonde des objets quantiques et en rupture avec la physique classique.

VITESSE ET POSITION

La physique classique, celle héritée de Newton, est de nature déterministe. Tout phénomène peut être prévu dès lors que sont connus l’ensemble des paramètres qui peuvent l’influencer. La dynamique d’une particule peut être ainsi entièrement déterminée si sa position et sa quantité de mouvement (sa vitesse) sont connues à chaque instant. D’un point de vue mathématique, l’état de la particule peut être défini par des grandeurs scalaires exprimant sa vitesse et sa position. La mécanique quantique, qui voit le jour dans les années 1920, grâce aux travaux de Niels Bohr, Pascual Jordan, à l’école de Copenhague, de Paul Dirac en Angleterre, et de Max Born, Erwin Schrodinger et Wolfgang Pauli en Allemagne, va complètement remettre en cause cette conception. En énonçant son fameux « principe d’incertitude » au printemps 1927, le physicien allemand Werner Heisenberg (1901-1976) fut l’un des principaux artisans de cette révolution – ce qui lui valut le prix Nobel de physique en 1932.

L’INDÉTERMINATION

Selon le principe d’incertitude, on ne peut mesurer simultanément la position et la quantité de mouvement d’une particule subatomique dotée d’une masse. On peut soit connaître précisément sa position, au prix d’une grande incertitude sur la valeur de sa vitesse; soit connaître précisément sa vitesse, au prix d’une grande incertitude sur sa position. En d’autres termes, si l’une des deux valeurs est connue, l’autre est indéterminable, et les deux ne peuvent être mesurées conjointement que dans une certaine fourchette d’exactitude. L’indétermination vaut aussi pour le temps et l’énergie et le principe général est donc que le produit des incertitudes (ou des indéterminations) sur deux variables corrélatives (position et quantité de mouvements ou énergie et temps), ne peut être inférieur à un certain ordre de grandeur. Heureusement, cet ordre de grandeur, en lien avec la constante de Planck, est très faible, ce qui explique que l’indétermination ne s’applique qu’à l’échelle subatomique.

UNE MESURE IMPOSSIBLE

On peut imaginer mesurer le mouvement d’une particule subatomique à l’aide d’un radar, qui suivrait la particule à l’aide d’ondes électromagnétiques se réfléchissant sur elle. Si l’on veut obtenir la précision maximale, il nous faut opter pour les rayons gamma, car leur longueur d’onde est très courte. Malheureusement, en raison de la dualité onde-corpuscule, les rayons gamma se comportent aussi comme des photons qui viennent percuter la particule avec une très grande énergie. Ce faisant, les photons modifient forcément la vitesse de la particule, et il devient dès lors impossible de connaître et sa position et sa vitesse avec précision. L’utilisation de rayons moins énergétiques ne changerait rien à l’affaire : leur longueur d’onde plus élevée permettrait de mesurer la position de la particule avec une moins bonne précision… Impossible dès lors, quelle que soit la manière dont on s’y prend, de définir la position et la vitesse d’une particule au sens de la mécanique classique.

FONCTION D’ONDE ET PROBABILITÉ

Le principe formulé par Heisenberg peut paraître contre-intuitif. Il bouleverse profondément les concepts de position, de vitesse ou de trajectoire au sens de la physique classique. La mécanique quantique leur substitue des définitions probabilistes : elle décrit la distribution spatiale d’une particule, c’est-à-dire la probabilité qu’elle se trouve en un endroit donné à un instant donné. Ces propriétés s’expriment par une fonction d’onde, comportant toute l’information relative à la particule, et non plus par des mesures scalaires, n’apportant qu’une information partielle. Si le terme « d’incertitude » est passé à la postérité, les physiciens lui préfèrent celui « d’indétermination », plus juste : en effet, si nous n’avons aucun moyen de connaître la position et la vitesse d’une particule avec précision, cela ne tient pas à la précision des moyens de mesure (ce à quoi peut faire penser le terme d’incertitude) mais bien à la nature profonde d’indétermination des objets quantiques.

LA MESURE AFFECTE L’EXPÉRIENCE

Einstein lui-même n’a jamais vraiment admis l’indétermination inhérente à la mécanique quantique, exprimant son opposition dans une formule célèbre : « Dieu ne joue pas aux dés. » Pourtant, le principe d’incertitude de Heisenberg introduisait bien la probabilité et le hasard en physique. Il remettait en cause également toute possibilité de prédiction de la trajectoire future d’une particule; à l’inverse, le comportement passé de la particule lui-même ne pouvait être décrit jusqu’à ce qu’on la mesure : « La trajectoire ne se matérialise que lorsque nous l’observons », put dire Heisenberg. Par ailleurs, la mécanique quantique impliquait qu’aucune expérience ne pouvait être réalisée sans que l’acte de mesure lui-même affecte le résultat de l’expérience. Notre cadre conceptuel hérité de la physique classique n’était ainsi plus adapté pour décrire le monde lorsqu’on arrive à l’échelle atomique, puisque l’objet mesuré et l’appareil de mesure ne pouvaient être totalement séparés.

EN RÉSUMÉ

En énonçant que la quantité de mouvement et la position d’une particule ne pouvaient être connues conjointement avec exactitude à l’instant t, le physicien allemand Werner Heisenberg exprimait une limite fondamentale des lois de la physique, demeurée célèbre sous le nom de principe d’incertitude – ou d’indétermination. La physique probabiliste de la mécanique quantique signait ainsi la fin du déterminisme de la physique classique : ni le comportement passé ni le comportement futur d’une particule ne pouvaient être déterminés avec certitude.