La physique quantique, élaborée au début du XXe siècle, a bouleversé notre vision du monde. Erwin Schrodinger, l’un des pères fondateurs de cette nouvelle discipline, livre dans une série d’articles son interprétation de cette étrange physique et de son impact dans notre représentation du monde. LA REPRÉSENTATION DU MONDE
Au début du xxc siècle, la physique allait connaître deux révolutions internes, dont les conséquences dépassèrent largement le cadre scientifique: d’une part, la théorie de la relativité générale d’Einstein, et d’autre part, celle de la mécanique quantique. L’une concerne les phénomènes macroscopiques et notamment la force de gravitation, l’autre le monde microscopique, le règne des atomes. Toujours inconciliables, ces deux théories posent de nombreuses questions dont nous sommes bien loin d’avoir les réponses. Si la relativité générale a profondément remis en question notre vision de l’Univers, transformant une force en une déformation géométrique de l’espace-temps, elle n’a pas pour autant bouleversé fondamentalement notre rapport au monde. La mécanique quantique a, elle, totalement modifié notre représentation du monde. C’est à celte délicate question que Schrôdinger tente de répondre dans ce livre, en s’appuyant sur son rôle de père fondateur de cette nouvelle physique.
QUINZE ANS DE RÉFLEXION
Ce livre, intitulé Physique quantique et représentation du monde, est constitué de deux textes qui traitent de la même question mais à quinze ans d’intervalle. Le premier, La Situation actuelle en mécanique quantique, date de 1935, époque à laquelle Schrôdinger est en plein doute sur la nature de cette nouvelle théorie. Le second est une transcription, intitulée Science et humanisme, d’un cycle de conférences données par Schrôdinger en 1950 et qui traitent finalement de la même question que l’article de 1935. Le sous-titre de ce second article, La Physique de notre temps, est là pour en témoigner. Ce qui retient l’attention ici est non seulement la découverte des étapes majeures de la réflexion de Schrôdinger sur la signification de la mécanique quantique, et notamment ses doutes et ses hésitations, mais aussi la manière dont Schrôdinger prend part au débat extrêmement tendu dont la mécanique quantique fut l’objet pendant de très nombreuses années, débat encore ouvert aujourd’hui.
LA PENSÉE DES ANNÉES 1930
En 1930, Schrôdinger a de nombreux doutes quant à l’interprétation à donner à la mécanique quantique. D’une part, l’interprétation de certains de ses collègues qui faisaient de la fonction d’onde une entité exclusivement symbolique lui semblait inacceptable. D’autre part, il admettait l’échec de sa propre tentative de 1926, qui revenait à voir dans cette fonction la représentation immédiate d’une « réalité » continue. La publication de l’article d’Einstein, Podolsky et Rosen en 1935
l’incite alors à exposer, sur un ton ironique imposé par son manque de solutions, toutes les inconsistances qu’il percevait dans l’interprétation alors dominante. L’un des éléments de son argumentation est le paradoxe dit « du chat de Schrôdinger ». Cette expérience de pensée se heurte à une situation qu’il qualifie de « ridicule » : le chat n’est pas dans un état bien déterminé, mais dans une superposition d’états. La partie purement critique de son travail d’interprétation reste encore extrêmement pertinente.
LA PENSÉE DES ANNÉES 1950
Science et humanisme reprend le texte d’une série de conférences publiques prononcées en février 1950. Contrairement à ce que son titre suggère, ce texte n’est pas seulement une réflexion générale sur l’impact de la science sur les valeurs humanistes. Il est en fait pour l’essentiel consacré à une évaluation renouvelée des difficultés conceptuelles de la mécanique quantique. Dans les années cinquante, en effet, Schrôdinger a repris une certaine assurance par rapport à son attitude dubitative de 1935. Il constate que la plupart des concepts qui permettent à ses collègues de donner une interprétation de la mécanique quantique acceptable en pratique, ont deux défauts majeurs : ils sont obscurs sur le plan de la théorie de la connaissance et ils incitent à ajouter au schème théorique permettant de prédire des résultats expérimentaux, des éléments superflus et générateurs de paradoxes. Schrôdinger tente ainsi de remettre un peu d’ordre et de dissiper le « flou » qui entoure cette théorie.
UN DÉBAT TOUJOURS ACTIF
À travers ses deux articles éloignés de quinze années de réflexion, Schrôdinger parvient à imposer sa propre évaluation de ce qui fait de la mécanique quantique une théorie profondément différente de celles qui l’ont précédée. Non pas le « flou » de la frontière sujet-objet, ni même l’indéterminisme, mais deux autres traits distinctifs : l’absence d’individualité des objets corpusculaires et la distance accrue entre la description et le fait expérimental. Ces conclusions laissant apparaître une voie négligée dans l’exploration de ce qu’on a parfois nommé « les étrangetés quantiques », il apparaît indispensable à qui veut se plonger dans cet univers fascinant qu’est la physique quantique, de relire ces textes de Schrôdinger, tant pour l’œuvre de pédagogie qu’il arrive à réaliser sur un sujet techniquement difficile, que pour comprendre le débat philosophique ouvert par cette théorie, débat bien loin d’être refermé, notamment sur la question de l’unification de la physique.