Longtemps demeurés insondables, les trous noirs dévoilent peu à peu leurs étranges caractéristiques et les scientifiques commencent à comprendre quel rôle jouent ces objets célestes dans la trame cosmique.

La quête de notre connaissance des trous noirs commence par une question simple : puisque ces ogres cosmiques piègent aussi bien la matière et la lumière, peut-on quand même les voir directement ? « Oui, comme on peut voir l’entrée d’une grotte dans le flanc d’une falaise : par contraste avec un environnement plus lumineux que lui. On peut aussi et surtout voir la matière qui tombe dedans, un processus qui peut être extrêmement lumineux » détaille Matteo Smerlak. Grâce à cette astuce, les astronomes ont pu observer avec précision certains mécanismes passionnants. On a notamment appris que les trous noirs, traditionnellement associés au chaos et à la destruction, étaient également de puissants vecteurs de vie dans tout le cosmos…
NAISSANCE ET MORT D’ÉTOILES…
Il y a quelques mois, une équipe de chercheurs anglais de l’université de Cambridge a ainsi annoncé avoir observé des étoiles se former dans les puissants vents d’un trou noir supermassif. C’est donc dans cet environnement extrême que les jeunes astres s’allumeraient, et
ce, grâce aux éjections de matière produites par le trou noir, appelées « sorties ultra-rapides # », qui jouent également un rôle prédominant en termes de redistribution de la matière dans tout l’Univers. Les trous noirs supermassifs produisent ces sorties lorsque la matière dans le disque d’accrétion entourant le trou noir devient trop chaude et est littéralement expulsée vers l’extérieur par le biais de vents puissants, rejetant des jets de particules et des courants de gaz. Ces éjections ont le pouvoir de supprimer la possibilité de formation d’étoiles dans les régions voisines de l’espace, mais il semblerait que ces explosions interstellaires puissent également elles-mêmes donner naissance à de petites étoiles tout en régulant la croissance du trou noir. « Les astronomes ont longtemps réfuté la possibilité que des étoiles puissent se former au sein de ces jets, dans des conditions si extrêmes. Nos résultats sont passionnants, car ils montrent sans ambiguïté que des étoiles sont créées dans ces sorties » se réjouit l’astrophysicien Roberto Maiolino. Pour réaliser cette première mondiale, l’équipe de Maiolino a observé le phénomène de naissance des étoiles dans une collision extrêmement lointaine de deux galaxies appelées IRAS F231 28-591 9 et qui se situent à 600 millions d’années-lumière de la Terre (ce qui signifie que la fusion de ces deux systèmes s’est produite il y a environ 600 millions d’années). Selon les chercheurs, la population stellaire détectée dans les sorties d’IRAS F231 28-591 9 se compose d’étoiles ayant moins de quelques dizaines de millions d’années, ce qui est très jeune à l’échelle cosmique. L’analyse préliminaire suggère par ailleurs qu’elles sont plus chaudes et plus brillantes que les étoiles formées dans des environnements moins extrêmes, tels que les disques galactiques. Et la formation d’étoiles dans les vents de ce trou noir n’est pas rare, loin s’en faut : les scientifiques estiment que les étoiles nées dans les sorties du trou noir se forment à raison de 30 fois la masse du Soleil, et ce, chaque année ! Cela représente plus d’un quart de la formation d’étoiles totales engendrées par la fusion d’IRAS F231 28-591 9. Ces jeunes étoiles éjectées du trou noir supermassif au centre de la galaxie se déplacent vers l’extérieur, parmi les flux d’autres matières, à des vitesses allant jusqu’à des centaines de kilomètres par seconde. Dans l’amas globulaire appelé 47Tucanae, une autre équipe d’astronomes a ainsi repéré une étoile dans l’orbite connue la plus proche d’un trou noir : il ne faut que 28 minutes à l’astre pour compléter une orbite complète, ce qui correspond à une vitesse équivalant à 1 % de la vitesse de la lumière ! « Il est important de découvrir ces trous noirs rares, car ils ne représentent pas uniquement la fin des étoiles massives (. . .), ils continuent également à jouer un rôle dans l’évolution des autres étoiles après leur mort» explique Geraint Lewis,de l’Université de Sydney. Quant a la galaxie elliptique NGC 4696, située à environ 150 millions d’années-lumière et se trouvant dans l’amas du Centaure, elle est en train de se faire dévorer de l’intérieur par son trou noir supermassif ! À la fois consommée et dispersée par l’ogre qui se trouve en son cœur, cette galaxie est littéralement broyée en filaments très lumineux s’étendant sur une distance de 200 années-lumière. Formés de gaz et de poussière, ceux-ci ont une densité 1 0 fois supérieure au gaz environnant. Vestiges d’un système stellaire agonisant…
SAGITTARI US A # : LE TROU NOIR SUPERMASSIF AU CENTRE DE NOTRE GALAXIE
On le sait, les trous noirs sont assez communs dans l’univers ; rien que dans la Voie lactée, notre galaxie, il en existerait environ 1 00 millions. Dont le plus imposant, en son centre : le trou noir supermassif Sagittarius A #, pour la première fois détecté en 1 974. Entouré d’une cohorte d’étoiles et de trous noirs plus petits, notre monstre céleste, situé à 27 000 années-lumière de la Terre et dont la masse équivaut à 4,3 millions de fois celle du Soleil, est l’objet le plus massif de la Voie lactée. Logique donc, que les astronomes cherchent à braquer leurs télescopes sur lui pour tenter de l’étudier plus en profondeur. Malgré sa taille et son activité, personne n’a encore pu imager l’environnement de ce trou noir ni son horizon, la limite au-delà de laquelle plus aucune matière ni lumière ne peut s’échapper. Le projet Event Horizon Telescope (EHT) est le premier à relever le défi. Les premières observations ont eu lieu en avril 2017, mais il faudra plusieurs mois avant de savoir si elles ont été couronnées de succès. « Pour tenter d’observer le trou noir central, les astronomes ont uni leurs efforts et leurs radiotélescopes pour créer l’EHT. Au lieu de construire un gigantesque télescope, ils ont utilisé le principe de l’interférométrie qui consiste à combiner les données de plusieurs télescopes pour obtenir une résolution égale à celle d’un miroir de diamètre équivalent à l’écart entre les instruments associés. Avec l’EHT, la répartition des observatoires sur le globe aboutit à la création d’un télescope virtuel ayant le diamètre de la Terre ! » explique Joël Ignasse pour Sciences et Avenir. Tous les observatoires impliqués dans le projet EHT sont des radiotélescopes qui vont sonder le centre de la Voie lactée dans la gamme des ondes radio millimétriques, le domaine le plus pertinent pour étudier notre trou noir central, car si les ondes millimétriques ne sont pas les plus énergétiques, elles peuvent en revanche franchir de grandes distances sans être bloquées par la matière ou les gaz qu’elles traversent. À quoi pourrait ressembler l’image obtenue ? « On s’attend à voir un rond sombre entouré d’un anneau lumineux un peu plus épais sur un côté », estime Frédéric Gueth, directeur adjoint de l’IRAM (Institut de Radio Astronomie Millimétrique), situé sur le Pico Veleta, dans la Sierra Nevada espagnole. Va-t-on réussir à tirer le portrait de Saglttarius A # d’ici la fin de l’année ? Suspens ! En attendant, d’autres chercheurs s’occupent en recréant… un trou noir en laboratoire ! En utilisant le faisceau de rayons X le plus puissant du monde sur une molécule, une équipe de scientifiques américains a réussi à simuler les conditions d’un mini-trou noir. Une seule impulsion du laser a quasiment tout éliminé à l’intérieur du plus gros atome de la molécule, exception faite de quelques électrons. Cela a créé un vide – dont la nature a horreur – qui s’est mis à attirer les électrons du reste de la molécule. De la même manière qu’un trou noir dans l’espace attire les étoiles alentour, mais à une échelle évidemment bien plus réduite. L’expérience, menée par Daniel Rolles et Artem Rudenke de l’université d’État du Kansas, est détaillée dans un article publié le 31 mai dernier dans le journal Nature. On y apprend que le microscopique trou noir n’a pas vécu longtemps : en 30 femtosecondes (une femtoseconde correspond à un millionième de milliardième de seconde), la molécule a perdu plus de 50 électrons et a explosé !

« À LA FOIS CONSOMMÉE ET DISPERSÉE PAR L’OGRE QUI SE TROUVE EN SON CENTRE, CETTE GALAXIE EST LITTÉRALEMENT BROYÉE EN FILAMENTS TRÈS LUMINEUX S’ÉTENDANTSURUNE DISTANCE DE 200 ANNÉES-LUMIÈRE… » saviez-vous ? ultra-fast outflows : beaucoup d’objets stellaires qui ont des disques d’accrétion possèdent des jets, mais ceux qui proviennent de trous noirs supermassifs sont en règle générale les plus rapides et les plus actifs. Les plus grands jets sont ceux qui proviennent des trous noirs dans les galaxies actives telles que les quasars ou les radiogalaxies. Aller plus loin
DÉTECTER LES TROUS NOIRS GRÂCE AUX ONDES GRAVITATIONNELLES

Pouvoir repérer Les trous noirs grâce aux infimes oscillations de l’espace- temps provoquées par la collision entre deux astres massifs, telle est l’ambition de la détection des ondes gravitationnelles. En juin 2017, les interféromètres laser américains LIGO ILaser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) confirmaient une troisième détection de ce genre, qui s’ajoute à une seconde observation réalisée le 15 juin 2016. Dans chacun des cas, les ondes gravitationnelles détectées ont été générées par la collision entre deux trous noirs pour en former un plus massif, jusqu’à 62 fois la masse de notre soleil ! Et la quête de trous noirs via les ondes gravitationnelles n’en est qu’à ses premiers pas. « Alors que le Ligo est spécifiquement conçu pour observer des fusions entre des trous noirs, nous espérons pouvoir saisir bientôt d’autres événements d’astrophysique comme des collisions violentes entre deux étoiles à neutrons, les objets les plus massifs du cosmos » anticipe David Reitze, responsable du Ligo au Caltec, l’institut de Technologie de Californie. CE QU’IL FAUT RETENIR
* LES TROUS NOIRS SUPERMASSIFS SONT SITUÉS AU CŒUR DES GALAXIES
* CES OBJETS COSMIQUES PEUVENT PESER PLUSIEURS MILLIARDS DE FOIS LA MASSE DU SOLEIL
* LES JETS DE MATIÈRE EXPULSÉS PAR LES TROUS NOIRS JOUERAIENT UN RÔLE DANS LA FORMATION DES ÉTOILES
REPÈRES BIBLIOGRAPHIQUES
-> Matteo Smertak, Les trous noirs, Éditions PUF
-> Stephen Hawking, Dernières nouvelles des trous noirs, Éditions Flammarion
-> Alain Riazuelo, Les trous noirs :À la poursuite de l’invisible, Éditions Vuibert