
Rendre accessibles au grand public les concepts étranges de la mécanique quantique, tel est le pari de Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod lorsqu’ils publient leur Cantique des quantiques. Si le pari est réussi pour les concepts physiques, la dimension métaphysique est quant à elle plutôt obscure.
VULGARISER LA MÉCANIQUE QUANTIQUE
Paru pour la première fois en 1984 aux éditions La Découverte, Le Cantique des quantiques de Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod se situe d’emblée dans un questionnement métaphysique en ajoutant le sous-titre Le monde existe-t-il ? Les questions soulevées par la mécanique quantique, depuis sa naissance au début du xxe siècle, dépassent en effet le strict cadre de la science et nous interrogent sur notre représentation du monde. Les différentes tentatives de vulgarisation de la physique quantique, que ce soit par les pères fondateurs comme Erwin Schrodinger ou bien par leurs successeurs, n’ont jamais réellement réussi à rendre intelligible cette théorie extraordinairement complexe. L’intérêt de cet ouvrage réside dans le fait que les auteurs ont tenté une approche en termes simples et sans recours aux mathématiques, grâce à des images insolites et des explications à la portée de tous. Ce ton souvent décalé a permis à ce livre de rencontrer un grand succès populaire et de devenir une référence.
LA GENÈSE ET LES CONCEPTS
Salué à l’époque de sa sortie comme l’un des meilleurs livres de vulgarisation sur le sujet difficile de la mécanique quantique, Le Cantique des quantiques s’est vendu à soixante-dix mille exemplaires en langue française et a été traduit en six langues. Un petit exploit pour un livre traitant d’un sujet aussi ardu. L’ouvrage commence par une brève présentation historique en trois étapes de la genèse de la physique quantique. On y découvre l’hypothèse du quantum formulée par Planck pour décrire le rayonnement thermique d’un corps noir porté à de hautes températures, puis l’hypothèse d’Einstein sur la nature corpusculaire de la lumière pour, en reprenant le quantum de Planck, expliquer l’effet photo-électrique, et enfin l’hypothèse de Bohr sur les orbites atomiques. Ensuite apparaissent les principaux concepts théoriques. Les auteurs illustrent leurs propos d’analogies pertinentes et surprenantes entre notre réalité et la théorie quantique, qui paraît soudain intuitive malgré son étrangeté.
DES IMAGES INSOLITES
Les auteurs de ce livre ne sont pas à proprement parler des spécialistes de mécanique quantique, en tous les cas pas des chercheurs actifs dans ce domaine. En effet, Jean-Pierre Pharabod, ingénieur des télécommunications, a travaillé trente ans au Laboratoire de physique nucléaire et de hautes énergies de l’Ecole polytechnique, et Sven Ortoli est journaliste scientifique. Cela ne les empêche pas d’aider le lecteur à pénétrer le monde de la mécanique quantique, à l’aide notamment
d’analogies surprenantes, comme celle de l’étang aux poissons solubles symbolisant la non-localisation des particules quantiques, analogie qu’ils reprendront dans leur livre suivant, Métaphysique quantique, publié aux éditions La Découverte en 2011. Le titre de ce second tome est parfaitement clair sur l’intention des auteurs, intention déjà présente dans Le Cantique des quantiques : montrer en quoi la mécanique quantique, au-delà d’une théorie physique du monde microscopique, est en fait une nouvelle métaphysique.
UN QUESTIONNEMENT MÉTAPHYSIQUE
La métaphysique, dans sa définition la plus simple, est la science qui traite des choses au-dessus de la nature, c’est-à-dire au-dessus du monde sensible. Elle a pour objet l’être en tant qu’être, autrement dit l’essence des choses. Si la présentation des concepts physiques de la mécanique quantique est une tâche difficile, la démonstration qu’elle constitue une nouvelle métaphysique et, éventuellement, ce qu’elle dit de notre représentation du monde est encore plus ardue. Même les pères fondateurs de cette nouvelle théorie s’y sont cassé les dents, de Schrôdinger à Einstein en passant par Bohr. pour ne citer que ceux-là. Les auteurs tentent vainement de convaincre le lecteur que la théorie quantique révolutionne notre rapport au monde et que, en mettant fin au déterminisme classique, elle ouvre la conscience à une réalité plus vaste englobant la matière et l’esprit, qui ne sont peut-être que les émanations d’un principe ou d’un ordre caché. Et le lecteur en sort peu convaincu.
UNE TENTATIVE PRESQUE ABOUTIE
Malgré l’échec des auteurs concernant la dimension métaphysique de la mécanique quantique, Le Cantique des quantiques reste encore aujourd’hui une référence pour qui voudrait appréhender cette discipline compliquée. Les principes généraux y sont clairement présentés, à l’image de la description de l’expérience d’Alain Aspect qui a prouvé, en 1982, la résilience de la théorie quantique vis-à-vis du paradoxe EPR, via des expériences de mesure portant sur la polarisation des particules. Les auteurs ajouteront même une postface inédite en 2007, dans laquelle ils expliquent les développements récents de la mécanique quantique, en particulier la très étrange inversion de l’ordre du temps qu’impliquent les expériences « à choix retardé ». En fin de compte, un livre intéressant sur beaucoup de points, montrant comment l’impossible devient possible, mais qui laissera un peu le lecteur sur sa faim quant à la question posée dans le sous-titre du livre, à savoir celle de l’existence, ou non, du monde.