Conscients que matière et énergie noires sont des données majeures de l’équation cosmologique, les chercheurs rivalisent d’ingéniosité pour tenter de détecter ces particules inconnues.
Selon la plupart des hypothèses, il semble qu’une partie de la matière noire soit composée de neutrinos. Pour le reste, c’est le flou total. Les spécialistes évoquent un mélange de plusieurs particules différentes, issues des extensions du modèle standard. Pour la supersymétrie, il est souvent question du neutralino, mais aussi du gravitino, le partenaire supersymétrique du graviton. Un autre candidat souvent proposé est l’hypothétique axion. Généralement aussi, les physiciens évoquent une grande classe de particules possibles rassemblées sous la dénomination de WIMPs (pour Weakly Interacting Massive Partie les). Pour tenter de percer la véritable nature de la matière noire, les chercheurs sont donc partis depuis quelques années à la chasse aux particules exotiques. C’est notamment le cas de l’expérience Xénon 1 T, qui tente depuis plusieurs mois d’identifier de nouveaux composants cosmiques. Ce détecteur géant ultra-sensible, installé sous le massif du Gran Sasso en Italie, part du principe que s’il est peu probable que les particules qui forment la matière noire subissent des interactions nucléaires fortes avec la matière (puisqu’elles ont échappé, jusqu’à maintenant, à toute détection en accélérateur ou dans le rayonnement cosmique), elles peuvent cependant être sensibles à des forces au moins aussi peu intenses que les forces nucléaires faibles #, voire à ces forces elles-mêmes. Pour cette expérience en laboratoire souterrain, les chercheurs utilisent 3,5 tonnes de xénon, un gaz noble ultra-pur liquéfié à -95 °C. Malheureusement, après plusieurs semaines de tests, le programme Xénon 1T n’est pas encore parvenu à repérer une seule particule exotique, échouant comme tous ses prédécesseurs. L’équipe de scientifiques prévoit dans une prochaine phase d’utiliser jusqu’à 7,6 tonnes de xénon afin d’augmenter les probabilités d’interaction d’une particule de matière noire avec la matière normale.
STRUCTURE DES GALAXIES ET MATIÈRE NOIRE
Plusieurs théories prévoient que les particules de matière noire seraient assez légères pour être produites au LHC, le collisionneur de particules situé sous la frontière franco-suisse. Dans ce cas, elles traverseraient les détecteurs sans être repérées, mais seraient toutefois porteuses d’énergie et d’impulsion. Il serait donc possible de déduire leur existence de l’énergie et de l’impulsion manquantes après une collision. Mais en attendant d’affiner les capacités de détection des accélérateurs de particules, plusieurs études se sont penchées sur le lien invisible qui maintient les galaxies grâce à la matière noire. De nouvelles observations obtenues avec le Very Large Telescope de l’ESO, au Chili, suggèrent notamment que les galaxies contenaient moins de matière noire il y a 10 milliards d’années qu’aujourd’hui. Pour parvenir à cette conclusion, les astronomes ont mesuré les vitesses de la matière normale dans plusieurs grandes galaxies spirales observées telles qu’elles étaient il y a 10 milliards d’années. Et ils se sont aperçus que les courbes de vitesses observées indiquent une chute notable, ce qui signifierait qu’elles contenaient beaucoup moins de matière noire que de nos jours. En remontant encore plus loin dans le passé, la matière normale semble même dominer largement le comportement des galaxies spirales. On estime ainsi qu’il y a 10 milliards d’années, la matière ordinaire constituait environ la moitié de la masse d’une galaxie spirale alors qu’elle serait seulement de l’ordre du dixième actuellement. Comment interpréter ces résultats ? Selon la théorie dominante, cela voudrait dire que la matière noire, à l’échelle des galaxies, s’est effondrée gravitationnellement moins vite que ce que l’on pensait. « On sait que les galaxies de cette époque sont très turbulentes, avec des flambées de nouvelles étoiles, des supernovae, des vents puissants émis par des trous noirs supermassifs avec des disques d’accrétion. Les halos de matière noire eux-mêmes devaient probablement jouer un rôle en canalisant d’importants courants de matière normale aidant à la croissance des galaxies et des trous noirs supermassifs. Il se peut que des interactions et rétroactions complexes entre tous ces phénomènes, et pas uniquement des propriétés bien particulières de la matière noire, soient la clé de ces observations au niveau des galaxies » ajoute Laurent Sacco pour Futura Sciences. Mentionnons également les travaux d’un groupe d’astrophysiciens espagnols de Vlnstituto de Astrofisica de Canarias (IAC), qui vient tout juste de confirmer une prédiction de la théorie de la matière noire, à savoir que celle-ci, repartie sous la forme d’un halo quasi sphérique autour des galaxies, possède un champ de gravitation qui ralentit la vitesse de rotation des barres d’étoiles dans les galaxies spirales. Le professeur d’astronomie Mike Hudson et ses collègues ont pour leur part combiné 23000 images d’une paire de galaxies située à 4,5 milliards d’années-lumière, ce qui leur a permis de réaliser un montage sur lequel on constate la présence d’un filet de matière noire qui semble englober les deux galaxies. « Pendant des décennies, les chercheurs ont prédit l’existence de filaments de matière noire jouant le rôle de gigantesque filet reliant les galaxies entre elles, c’est désormais chose faite » se félicite Mike Hudson. « En observant des images de galaxies lointaines et en mesurant les déformations subies, les chercheurs peuvent désormais en déduire la distribution de la matière noire intercalée entre notre galaxie et des galaxies plus lointaines » se réjouit tout autant Yannick Mellier, de l’institut d’astrophysique de Paris.
UN LIEN AVEC LES TROUS NOIRS?
Une autre étude, menée par un groupe de théoriciens du réputé Institut Périmètre de physique théorique, au Canada, s’est elle lancée dans une nouvelle piste de recherche : les scientifiques espèrent bien découvrir la matière noire… grâce aux trous noirs ! Leurs observations suggèrent en effet que des particules de matière noire se créeraient massivement autour des trous noirs en rotation ; elles s’annihileraient ensuite en entrant en collision, produisant les fameuses ondes gravitationnelles, qui ont fait débat dans les cercles spécialisés voilà quelques mois. Ces collisions produiraient massivement des gravitons. « Le signal serait, certes, moins intense que celui accompagnant la fusion de deux trous noirs, et donc plus difficiles à détecter, mais il devrait être à la portée de aLigo, le détecteur d’ondes gravitationnelles états-unien, mais aussi, probablement, de aVirgo, son cousin européen » précise Laurent Sacco. Cette hypothèse prévoit l’existence d’axions comme particules de matière noire. Ces composants exotiques devraient avoir un comportement particulier à proximité des trous noirs en rotation, décrit par une solution des équations de la relativité générale d’Einstein appelée « la solution de Kerr ». Il est ainsi possible de montrer que des champs de particules baignant de tels trous noirs peuvent subir un effet dit de « superadiance », c’est-à-dire que ces champs sont amplifiés par la rotation des trous noirs auxquels ils empruntent de l’énergie. Cela a pour effet de faire diminuer la vitesse de rotation des astres compacts. Dans le cas présent, la superadiance devrait avoir pour effet d’augmenter considérablement le nombre d’axions autour du trou noir, lesquels pourraient entrer en collision et s’annihiler, un peu comme le feraient des électrons entrant en collision avec des positrons, leurs antiparticules. Dans cette perspective, la matière noire serait en réalité composée de trous noirs primordiaux, ces objets supermassifs qui se sont formés dans les premiers balbutiements de l’univers. Une véritable révolution cosmologique ! « Tout porte à croire que nous sommes à la veille d’un bouleversement scientifique majeur, mais on est incapables de dire ce que sera le monde de demain « conclut l’astrophysicien David Elbaz. En attendant, le suspens reste entier !
Saviez-vous
L’interaction faible est l’une des quatre interactions fondamentales de la nature, les trois autres étant les interactions électromagnétique, nucléaire forte et gravitationnelle. Elle est responsable de la désintégration radioactive de particules subatomiques et est à l’origine de la fusion nucléaire dans les étoiles.
ÉNERGIE NOIRE ET VIDE QUANTIQUE
Des chercheurs français, notamment de I IRAP-OMP (CNRS/Université P. Sabatier Toulouse III), proposent une origine physique à l’énergie noire. It s’agirait de faction gravitationnelle du vide quantique présent dans une dimension supplémentaire de l’espace. En présence de cette dimension supplémentaire compacte (c’est-à-dire rebouclée sur elle-même), le vide quantique gravitationnel pourrait produire une contribution à la densité de l’univers par un mécanisme similaire à l’effet Casimir en électrodynamique quantique. Une récente étude réalisée par un groupe de chercheurs canadiens de l’University of British Columbia a pour sa part estimé que les fluctuations spatiales du vide quantique sont microscopiques en taille, mais énormes en énergie. Pour en savoir encore davantage, les chercheurs pourront compter sur Euclid, un télescope spatial dont le lancement est prévu en 2019 et dont la mission principale sera d’étudier la nature des 95 % de CUnivers dont nous ignorons à peu près tout. Par spectroscopie, Euclid observera la distribution des galaxies en trois dimensions. Ensemble, ces mesures pourraient permettre de comprendre la source de l’accélération de l’expansion de l’Univers, qu’elle soit une énergie sombre ou une manifestation des effets d’une physique inconnue.
CE QU’IL FAUT RETENIR
UNE MATIÈRE COMPOSÉE DE PARTICULES EXOTIQUES TRÈS DIFFÉRENTES DE CE QUE NOUS CONNAISSONS DES TENTATIVES DE DÉTECTION JUSQU’ICI INFRUCTUEUSES UNE NOUVELLE PISTE DE RECHERCHE AVEC L’ASTRONOMIE GRAVITATIONNELLE