L’esprit de Poincaré

On connaît le génie scientifique d’Henri Poincaré, dernier véritable savant universel, mais on oublie souvent qu’il fut également philosophe. Son premier ouvrage de philosophie des sciences, La Science et /’Hypothèse, permet d’appréhender la profondeur et la puissance de sa pensée. LE DERNIER SAVANT UNIVERSEL
Né en avril 1854, Jules-Henri Poincaré, connu par la suite avec seulement le prénom Henri, est considéré comme le dernier savant universel. Et ce pour deux raisons essentielles. D’une part, par l’étendue de son champ d’investigation scientifique, allant des courbes algébriques ou de l’intégration des équations différentielles à la mécanique céleste et l’astronomie fondamentale, en passant par le calcul des probabilités et l’électricité théorique. En fait, peu de sujets de mathématiques ou de physique ont échappé à l’esprit affûté de Poincaré. On le soupçonne même d’avoir découvert le principe de relativité avant Einstein. D’autre part, Poincaré fut également élu membre de toutes les sociétés savantes de son époque et se donna pour mission, à côté de sa recherche purement scientifique, de chercher à comprendre l’essence de la science en tentant de dépasser le conventionnalisme systématique, notamment dans cet ouvrage intitulé La Science et VHypothèse, son premier ouvrage de philosophie des sciences.
QUATRE OUVRAGES FONDATEURS
Poincaré publie La Science et T Hypothèse en 1902. il est alors âgé de 48 ans. Il réunit dans ce livre, après les avoir remaniés, quatorze articles déjà publiés dans des revues universitaires. Poincaré poursuivra son exploration philosophique de la pensée scientifique dans trois autres ouvrages, La Valeur de la science en 1905, Science et Méthode en 1908 et Dernières pensées publié à titre posthume en 1913. Il y a une ambiguïté fondamentale dans l’œuvre de Poincaré. Le contenu est philosophique, mais le moyen par lequel le contenu est exprimé partage certaines ressemblances avec la vulgarisation scientifique. Il y a toutefois beaucoup plus qu’une volonté d’informer le public sur les découvertes scientifiques, peut-être même en est-elle absente. On contemple les efforts d’une pensée tentant d’élucider la signification philosophique des concepts de la science, tentant d’en dépasser le simple contenu factuel et d’amener le lecteur à une réflexion sur les fondements mêmes de la science.
UN SAVOIR ENCYCLOPÉDIQUE
Poincaré structure son ouvrage autour de quatre grands thèmes de nature physique ou mathématique, thèmes qui vont lui permettre de penser les fondements de la science, autour de la question délicate de l’hypothèse. Pour commencer, Poincaré aborde deux thèmes purement mathématiques. La première partie traite ainsi du nombre et de la grandeur, dans laquelle il évoque la question de la
LES FONCTIONS DU LANGAGE
La position de Poincaré dans La Science et ïHypothèse est profondément originale dans sa distribution des fonctions respectives qu’exercent le langage, l’esprit et la nature dans la connaissance. Tout d’abord, le langage organise la trame pure de l’expérience. Ensuite, la « puissance de l’esprit » est responsable de la connaissance en mathématiques pures, ces dernières possédant le raisonnement par induction complète qui leur permet d’embrasser simultanément une infinité de jugements arithmétiques et de produire des vérités nouvelles que les prémisses des raisonnements ne contiennent pas analytiquement. Enfin, l’induction physique est le ressort de la connaissance, en tant qu’elle s’applique à la nature. Poincaré décline ainsi l’hypothèse scientifique sous trois formes : naturelles – ou principes -, indifférentes, et les hypothèses vraiment physiques, qui reproduisent les sortes de méthodes qui caractérisent respectivement l’arithmétique, la géométrie et la physique.
MÉTAPHYSIQUE DE LA SCIENCE
Ce premier ouvrage de philosophie de Poincaré est, aujourd’hui encore, un modèle de rigueur intellectuelle et une source d’inspiration féconde pour nombre de scientifiques et de philosophes des sciences. Mais ce qui apparaît comme la force de Poincaré – être un scientifique de génie décidant de réfléchir à une métaphysique de la science – semble malheureusement faire cruellement défaut à beaucoup d’historiens ou philosophes des sciences contemporains. Si tous les scientifiques ne sont pas des philosophes, tant s’en faut, tous les philosophes n’ont que très peu de notions scientifiques. Ce qui en découle est assez simple. Peu de choses aussi fortes ont été écrites depuis les quatre ouvrages de philosophie d’Henri Poincaré, plus particulièrement sur cette question des fondements de la science, de ce qu’est, intimement, un raisonnement et de ce que l’on entend, profondément, lorsque l’on parle d’hypothèse. Si l’on ne devait lire qu’un seul livre, ce devrait être La Science et l’Hypothèse.

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