Formulée par l’écologue James Lovelock, l’hypothèse Gaïa conçoit la Terre comme un système physiologique dynamique capable d’autorégulation pour maintenir la vie. Très médiatique, elle reste fortement critiquée sur le plan scientifique et repose pour beaucoup sur des modélisations informatiques.

BIOSPHÈRE ET ÉCOLOGIE

Notre environnement est régulé par des processus de transport et de transformation des éléments chimiques (azote, carbone, oxygène, etc.) au sein de la biosphère. Dans les années 1960, la représentation d’une Terre comme un système où s’opèrent des cycles d’échanges biogéochimiques nous est devenue familière, notamment parce qu’on a pris conscience que l’activité humaine pouvait les perturber. L’explication du système Terre se faisait essentiellement en termes physico-chimiques. Mais quel rôle les êtres vivants pouvaient-ils bien y jouer? A partir de 1970, un écologue anglais, James Lovelock (né en 1919), a formulé à travers plusieurs ouvrages une théorie appelée à connaître un franc succès médiatique: l’hypothèse biogéochimique ou hypothèse Gaïa, du nom de la déesse-mère de la mythologie grecque. Si cette théorie a permis de fédérer plusieurs disciplines autour d’une approche nouvelle de l’écologie, elle a aussi donné prise à la controverse et à des dérives non scientifiques.

LA TERRE COMME SUPERORGANISME

Selon les termes de Lovelock, Gaïa est un ensemble formé par « la matière organique, l’air, les océans et la surface de la Terre, système complexe susceptible d’être appréhendé comme un organisme unique et ayant le pouvoir de préserver les caractéristiques vitales de notre planète». L’idée directrice est donc que la Terre se comporte comme un être vivant, un « superorganisme » intelligent, capable de s’autoréguler pour permettre le développement de la vie, au moyen d’un ensemble de contraintes permettant de préserver la stabilité du système, appelées lois gaïennes. Si les êtres vivants violent ces lois, le système se dégrade et court à sa perte. Selon Lovelock, le système de régulation de Gaïa est le fruit d’une double évolution, ou « éco-évolution », celle de l’évolution géophysique et celle de l’évolution biologique. Dans cet esprit, il avance par exemple que la composition de l’atmosphère aurait été régulée au cours de l’histoire de la Terre pour que la vie puisse se maintenir.

HOMÉOSTASIE ET SÉLECTION NATURELLE

L’idée de la Terre comme organisme vivant est ancienne. Lovelock s’appuie en particulier sur les travaux du géochimiste Vladimir Vernadsky (1863-1945), auteur du concept de biosphère, qui considérait que la compréhension de ce phénomène global nécessitait la prise en compte du vivant. Il emprunte aussi à Walter Cannon (1871-1945) le concept d’homéostasie, ou capacité d’autorégulation d’un système – en l’occurrence la capacité de la Terre à maintenir une température stable et favorable à la vie. L’idée d’une Terre « vivante » a été vivement critiquée par les biologistes de l’évolution. Gaïa ne peut pas être considérée comme un être vivant (c’est au mieux une métaphore maladroite) et constitue un abus du darwinisme: les organismes vivants ne poursuivent aucun but et rien dans la sélection naturelle ne valide le principe d’éco-évolution à la base de l’auto-régulation du système. Pour certains auteurs, l’hypothèse Gaïa n’est pas testable et tient donc plus de la pseudo-science.

TEMPÉRATURE ET LUMINOSITÉ

Pour contrer ces critiques, Lovelock a cherché à modéliser un mécanisme autorégulateur: celui de la température terrestre par le biais des végétaux. Baptisé Daisyworld (monde de pâquerettes), son modèle fait intervenir la luminosité solaire, croissante, et la superficie couverte par deux populations de pâquerettes noires et blanches prospérant entre 5 °C et 40 °C. Le modèle de Lovelock montre que l’équilibre entre populations de pâquerettes noires et blanches, qui détermine l’albédo global (la quantité de lumière réfléchie) permet de réguler la température: le système s’adapte donc à l’augmentation de la luminosité, du moins jusqu’à un certain point. Daisyworld a donné lieu à des modèles plus perfectionnés, intégrant plusieurs variétés de pâquerettes, des animaux, puis des écosystèmes entiers régis par la sélection naturelle. Tous semblent accréditer la théorie de Lovelock selon laquelle la biosphère tente de s’autoréguler, à l’exception des simulations intégrant la théorie du chaos.

LE SULFURE DE DIMÉTHYLE

Si les modèles fonctionnent, qu’en est-il des mécanismes réels ? L’une des clés de voûte de l’hypothèse Gaïa repose sur le sulfure de diméthyle (DMS en anglais), émis par de nombreux organismes marins, qui se transforme en aérosols de sulfate. En 1972, Lovelock avait montré l’omniprésence des DMS à la surface de l’océan. En 1986, avec trois collègues, Robert Charlson, Meinrat Andreae et Steven Warren, il publie une hypothèse retentissante baptisée CLAW (acronyme du nom des auteurs et signifiant « griffe » en anglais) : si la température stimule le plancton, donc le DMS, il en résulte une augmentation de la couverture nuageuse, car les DMS jouent un rôle déterminant dans la condensation des nuages; l’albédo terrestre augmente alors, ce qui fait baisser la température, aboutissant ainsi à une stabilisation du système! Malheureusement, cet exemple d’une boucle stabilisante du climat de la planète, régulée par le vivant, ne semble pas corroboré par les connaissances sur le plancton ni par celles de la physique des nuages…

À RETENIR

L’hypothèse Gaïa est une théorie scientifique très controversée émise par l’écologue anglais James Lovelock, reprenant une idée ancienne selon laquelle la Terre est un système physiologique dynamique incluant la biosphère et capable de s’autoréguler, grâce au principe d’éco-évolution, afin de maintenir la vie. Fortement critiquée par les biologistes, l’hypothèse repose essentiellement sur une modélisation de ces processus de régulation (Daisyworld). Les preuves expérimentales (hypothèse CLAW) semblent quant à elles non concluantes.